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Beigbeder, Murakami, Echenoz… Les incontournables de la rentrée littéraire de janvier


A peine avons-nous fini d’offrir à Noël les prix d’automne décernés aux romans d’août, que nous voilà déjà face à une nouvelle rentrée littéraire, celle de janvier. L’Express a sélectionné sept romans, français et étrangers. On y retrouve Frédéric Beigbeder à son meilleur, le magicien Jean Echenoz et les académiciens Patrick Grainville et Andreï Makine. Mais aussi, venus du Japon, la superstar Haruki Murakami et un nouveau phénomène masqué, Uketsu. Sans oublier la grande romancière américaine Rachel Kushner, qui s’est inspirée de Julien Coupat comme de Jérôme Fouquet…

Frédéric Beigbeder : le livre de son père

Au mois de septembre, Frédéric Beigbeder sera sexagénaire. Les années ont filé. De son propre aveu, l’ancien jeune homme dérangé est désormais un hétérosexuel légèrement dépassé. Sa barbe blanche et ses papiers piquants dans Le Figaro Magazine font de lui le François Nourissier des temps modernes. Avec cela, il a perdu son père. Un événement à la fois douloureux et riche en réminiscences qui lui a permis d’écrire ce nouveau livre, Un homme seul, assurément l’un de ses meilleurs.

Qui était Jean-Michel Beigbeder (1938-2023) ? L’auteur fait de son père un enfant triste, envoyé à 8 ans au sinistre pensionnat de Sorèze, au fin fond du Tarn. Il en sort brisé à vie. La suite n’est qu’une longue fuite. Il part pour l’Amérique, mène des activités secrètes dont même sa famille ne sait rien (espion pour la CIA ?), puis lance en France le métier de chasseur de têtes, qui lui permet de mener grand train avant de finir ruiné. Tout le temps entre deux avions et trois conquêtes, cet homme pressé et boulimique s’est peu occupé de ses enfants. Son fils cadet, Frédéric, avait pris l’habitude de prendre des notes dans des carnets les rares fois où il passait du temps avec lui – de là datent ses débuts dans l’écriture, où la figure paternelle n’est jamais loin. Ce personnage hors normes, déjà évoqué dans Un roman français et Un barrage contre l’Atlantique, est ici central. Mais Beigbeder élargit son sujet : ce portrait tour à tour tendre et critique, qui peut rappeler le Weyergans de Franz et François, est aussi une réflexion sensible et pertinente sur les traumatismes que cachaient les mâles blancs du XXe siècle. Quels sévices infligeait-on aux garçons à Sorèze et ailleurs ? Avant de vouloir déconstruire les hommes, ne faut-il pas comprendre comment ils ont été élevés (et broyés) jusque très récemment ? Du grain à moudre pour les jeunes néoféministes légèrement dépassées. Louis-Henri de La Rochefoucauld

Un homme seul, par Frédéric Beigbeder. Grasset, 213 p., 20 €. Parution le 8 janvier.

Jean Echenoz : il s’en va encore une fois

Il a trouvé son rythme, Jean Echenoz, pas plus d’un roman tous les quatre ans. Un laps de temps très long pour les fans de ce roi dans l’art de marier le beau style à l’humour, l’absurde à la science, l’incongru au trivial, aussi commence-t-on toujours nos papiers par “Difficile d’imaginer plus beau cadeau de début d’année”. Il en a été ainsi pour Vie de Gérard Fulmard (2020), Envoyée spéciale (2016), 14 (2012)…, le tout éventuellement entrecoupé de nouvelles (Caprice de la reine, 2014) ou d’un Cahier de l’Herne (2022, réédité aujourd’hui). Avec Bristol, le dix-septième roman du Goncourt 1999 pour Je m’en vais, la magie opère de nouveau tant l’auteur se joue de la langue, des métaphores, des situations, des sentiments, des êtres humains comme de la nature – ici chênes et platanes s’échangent des signaux belliqueux, une mouche de l’espèce Drosophila imputica s’attarde sur une monographie de Kurt Neumann et, puisque l’on fait un détour par l’Afrique australe, éléphants, lions, sauriens, hippopotames… sont de la partie.

Parmi les Homo sapiens, on relève la présence de Robert Bristol, réalisateur pas vraiment en vogue, de Michèle Severinsen, actrice décatie et voisine du précédent, de Geneviève, amante de Bristol, de Marjorie des Marais, la femme aux 300 best-sellers… L’histoire ? Gouleyante à souhait avec, au centre de la fresque, Bristol, bien sûr, qui s’en va tourner un film en Afrique avec une jeune blonde actrice, imposée par la romancière, long métrage qui fera un bide mémorable. On va bientôt retrouver tous ces personnages et quelques autres (un policier français timide, un militaire africain cupide, un chauffeur girondin, un veuf aux abois) au hasard des péripéties baroques de ce récit cocasse au charme inclassable dont seul Echenoz a le secret. Marianne Payot

Bristol, par Jean Echenoz. Editions de Minuit, 208 p., 19 €.

Patrick Grainville : le naufrage de Géricault

C’est le mythe romantique par excellence. Mousquetaire du roi nostalgique de Napoléon, fou de chevaux et de femmes, Théodore Géricault est mort à 32 ans seulement des suites d’une chute, laissant derrière lui un monument : Le Radeau de la Méduse. Normand fou de peinture, l’académicien Patrick Grainville ne pouvait que s’emparer du court destin de ce natif de Rouen, et notamment de la genèse de “l’un des plus grands, des plus étonnants tableaux de l’histoire de la peinture”. Géricault a 26 ans lorsqu’il se passionne pour le naufrage de La Méduse. Du fait de l’incompétence d’un capitaine royaliste, la frégate s’est échouée sur le banc d’Arguin en 1816. Un radeau de fortune accueille environ 147 personnes. Seules 15 survivront au bout de treize jours d’horreur, de cannibalisme et de lutte des classes. A ce moment-là, la propre vie de Géricault est elle aussi à la dérive, puisque sa liaison avec sa tante Alexandrine s’achève de façon scandaleuse, celle-ci tombant enceinte et accouchant d’un fils, Georges-Hippolyte.

De sa plume baroque, Patrick Grainville raconte comme Géricault s’est affranchi des codes du néoclassicisme et a mené un intense travail préparatoire pour arriver à saisir ce “microcosme de l’horreur” à travers une oeuvre gigantesque, de sept mètres sur cinq. Il y a l’amitié avec Eugène Delacroix (qui figure sur Le Radeau), la représentation révolutionnaire d’un Haïtien au sommet de la pyramide humaine (“le descendant d’esclaves est la plus splendide figure de proue de la peinture”), le vol à Bicêtre d’une tête tranchée, le séjour au Havre pour peindre la mer et le ciel, l’accueil controversé au Salon de 1819… Dépressif après en avoir fini, Géricault, qui aime monter des chevaux impulsifs, se brise le dos en 1823, et succombe après une longue agonie. “L’espérance de tout un siècle meurt d’une carie des os”, note le jeune Alexandre Dumas. Thomas Mahler

La Nef de Géricault, par Patrick Grainville. Julliard, 304 p., 22 €. Parution le 9 janvier.

Andreï Makine : un Français en URSS

Parmi les invariants de l’œuvre d’Andreï Makine, nostalgie de l’adolescence, détestation de la guerre, horreurs du Goulag, émois devant la nature, c’est ce dernier qui clôt le 21e roman de l’Académicien français, Prisonnier du rêve écarlate. Son héros, l’homme aux deux identités, Lucien Baert, Marveï Bélov, a appris à observer l’essentiel, le vol d’oiseaux migrateurs, les branches enneigées d’un érable, la beauté d’un lac gelé. Mais c’est bien le cœur des hommes et les utopies mortifères que Makine, éternel pourfendeur des idéologies, embrasse dans cet emballant “roman-monde” au travers de quelques décennies d’histoires soviétique et française.

Commençons par Lucien Baert. Employé dans un atelier mécanique de Douai et militant communiste convaincu, il part en délégation visiter en août 1939 les usines rutilantes de la “mère patrie”. Las ! Un jour, le convoi repart sans lui, le voilà accusé d’espionnage et condamné à huit ans de “privation de liberté” dans l’Oural du Nord. En 1941, alors que l’Armée rouge peine à endiguer l’avancée des Allemands, les “disciplinaires” sont envoyés sur le front dans des attaques-suicides. Lucien en réchappe et acquiert l’identité d’un de ses condisciples mort au combat, Marveï Bélov. Intégré dans l’armée, blessé, torturé par les Allemands, soupçonné de trahison, il est expédié au Goulag.

C’est cet homme à la mémoire trouée, amnistié en 1957, que Daria, une veuve de guerre, recueille dans son isba de la région de Pinégra, à l’extrême nord. Dix ans plus tard, Marveï-Lucien rentre clandestinement en France, bientôt salué par la presse qui voit en lui un Français happé par “l’enfer du paradis communiste”. Evoluant dans le monde fluide de Julia, journaliste rebelle à vie, et de ses amis baby-boomers, il finit par s’éloigner de l’image qu’on lui a façonnée – allant même jusqu’à relever des incongruités dans L’Archipel du Goulag de Soljenitsyne – et se sent de plus en plus étranger. Il lui faut se ressourcer au “paradis”. M. P.

Prisonnier du rêve écarlate, par Andreï Makine. Grasset, 418 p., 23 €.

Haruki Murakami : le vieux maître et ses obsessions

Premier roman depuis sept ans du Japonais éternellement nobélisable, La Cité aux murs incertains n’est pas complètement inédit. En 1980, Haruki Murakami, alors patron d’un club de jazz à Tokyo, publia une nouvelle avec le même titre dans une revue littéraire. Pas satisfait, le trentenaire avait réutilisé la trame dans son roman SF La Fin des temps, paru en 1985. Mais, passé les 70 ans, Murakami s’est décidé à réécrire complètement cette histoire au moment de la pandémie du Covid-19, lui greffant deux parties supplémentaires, ce qui donne un pavé de plus de 500 pages. Au début, un narrateur d’âge mûr se souvient de son premier amour alors qu’il était adolescent. La jeune fille lui a révélé l’existence d’une mystérieuse cité médiévale avec des hauts murs qui protègent des habitants sans ombre, des horloges dépourvues d’aiguilles, des licornes et une bibliothèque dans laquelle on peut consulter des vieux rêves. A la fin de l’été, elle s’est évanouie sans laisser de traces… Comment survivre à la disparition d’une personne qu’on aime ?

Avec son narrateur plus intéressé par les livres et la musique que la vie sociale, ses univers parallèles, ses références aux Beatles ou ses chats, difficile d’imaginer un roman plus “murakamiesque”. Des critiques anglophones ont diagnostiqué une perte d’inspiration d’un septuagénaire tournant en rond. On peut au contraire y voir la marque d’un vieux maître qui, tel Jean-Sébastien Bach, ne cesse de remettre ses obsessions sur le métier et de peaufiner son art de la fugue, jusqu’à atteindre l’abstraction. Plus que jamais, Murakami est l’alter ego littéraire du réalisateur Hayao Miyazaki. Depuis quarante ans, ces deux enchanteurs japonais ont, en partageant leurs songes au monde entier, fini par nous questionner sur ce qui relevait de la réalité ou du rêve. T. M.

La Cité aux murs incertains, par Haruki Murakami, traduit du japonais par Hélène Morita avec la collaboration de Tomoko Oono. Belfond, 553 p., 25 €.

Rachel Kushner : French Psycho

Ce n’est pas tous les jours qu’une grande romancière américaine situe l’intrigue de son nouveau livre en France, et même pas dans un Paris glamour, entre l’Arc de Triomphe et le Flore, mais au fin fond du Sud-Ouest, dans la vallée de la Vézère. Sadie Smith, une ex-espionne du FBI devenue mercenaire, est embauchée par de mystérieux employeurs pour intégrer les militants du Moulin, des écoterroristes qui aimeraient contraindre les pouvoirs publics à renoncer à ses projets de méga bassines. Derrière ces activistes se cache un certain Bruno Lacombe, sorte de théoricien survivaliste non violent qui vit dans une grotte et ne jure que par l’homme de Néandertal, selon lui plus civilisé que le bobo postmoderne (comment lui donner tort ?). La mission de l’agent Smith s’avère délicate : elle doit pousser les gens du Moulin à tuer le secrétaire d’Etat Paul Platon, afin que l’Etat ait une raison valable de répondre par la force…

Pourtant avare de compliments sur ses contemporains, Bret Easton Ellis s’est dit “happé et hypnotisé” par Le Lac de la création. Il est vrai que Rachel Kushner ménage bien le suspense et met en scène des personnages ambigus, échappant ainsi à la nunucherie moralisatrice de Frapper l’épopée d’Alice Zeniter, paru à la dernière rentrée, qui tentait de s’emparer d’un sujet ressemblant. Le Lac de la création, c’est la rencontre inattendue entre John Steinbeck, Yuval Noah Harari, le Comité invisible et Jérôme Fourquet. Pour nous lecteurs français, il est savoureux de voir un roman américain évoquer le groupe de Tarnac ou digresser sur l’héritage intellectuel de Guy Debord (que la narratrice juge “lunatique et détestable”). Rachel Kushner avait-elle lu Sérotonine de Houellebecq ? On y pense parfois, et Houellebecq apparaît d’ailleurs lui-même, sous son vrai nom (Michel Thomas). Une autre extension du domaine de la lutte… L.-H. L. R.

Le Lac de la création, par Rachel Kushner. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson. Stock, 468 p., 23,90 €. Parution le 8 janvier.

Uketsu : roman noir et masque blanc

Au premier abord, le livre ressemble à un jeu d’enfants dont s’empareront volontiers ceux qui ont laissé leur cerveau au repos pendant les fêtes. Des dessins naïfs, niveau classe de primaire, en plan large, puis plus serrés, accompagnent le texte. Le lecteur comprend mal dans quelle direction on l’entraîne. Peu importe, il se prend au jeu. Accompagné de manière didactique par l’auteur, il tente de résoudre les énigmes qu’on lui propose dans ce qui paraît n’être qu’un simple cahier d’exercices de logique policière. Il s’amuse, s’initie aux questions de perspectives, de points de vue, de proportions qui bouleversent le regard et la compréhension que l’on peut avoir d’un même dessin.

Derrière la forme, amusante et distrayante, qui amène à faire défiler les pages plus vite qu’il ne le faudrait, on en oublierait presque que ce Strange Pictures se range dans la catégorie roman noir. L’angoisse s’infiltre insidieusement grâce au talent de Uketsu, véritable star au Japon, dont l’identité est gardée secrète et qui apparaît toujours vêtu de noir avec un masque blanc. Pour ce troisième roman, il mêle ses différents talents artistiques pour mieux balader le lecteur. En détournant le regard vers le dessin, il en fait oublier la noirceur que peut cacher sa construction en trois histoires successives. On les lit d’abord comme des nouvelles sans lien entre elles avant d’en comprendre l’emboîtement et la logique. L’enfance meurtrie, la psychopathie, les erreurs d’analyse psychologique… Sous les apparences d’une aimable distraction, c’est un drame épouvantable qui s’est noué dont on ne comprend les ressorts qu’à la toute fin du livre, une histoire d’une grande violence que les amateurs de thriller apprécieront. Strange Pictures est une petite pépite qui tranche avec la production habituelle au rayon noir. On peut la dévorer sans être un adolescent amateur de manga, il suffit d’être curieux de découvrir de nouveaux genres. Agnès Laurent

Strange Pictures, par Uketsu, traduit du japonais par Silvain Chupin. Seuil, 288 p., 19,90 €. Parution le 10 janvier.




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