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“C’est peut-être le plus important de mes livres” : Dans les nuits tourmentées de BHL


Yeux écarquillés, air surpris, “BHL” ne comprend pas la question, et ça paraît sincère. Non, vraiment, pourquoi à la parution de Nuit blanche (Grasset), son dernier livre, lui reprocherait-on un quelconque snobisme ? Narrer ses insomnies et se présenter ainsi à la face du monde en perpétuel état de conscience et de cogitation, pendant que d’autres, moins tourmentés, oublient le monde le temps d’une nuit, cela n’a rien d’une crânerie.

Que ses “frères en insomnie” s’appellent Pessoa et Lautréamont – certainement pas Proust, “trop voluptueuses” ses heures sans sommeil –, ou encore Emmanuel Macron, président de la République, dont il observe, de sa fenêtre, la dernière lumière qui s’éteint, n’a rien d’une fanfaronnade. “C’est une maladie”, nous coupe-t-il, sévère. Alors, ceux qui se moqueront… Il s’en fout royalement. Même s’il lira chaque ligne écrite sur lui, car “ceux qui ne lisent pas sont des mauvais guerriers”. Il lira, mais il promet qu’il n’en sera en rien entamé. Sans doute vrai, sinon se serait-il autorisé, à la fin de son ouvrage, ce qui ressemblerait presque à une provocation : “Je ne comprends pas qu’on puisse consacrer son temps à autre chose qu’à écrire (sur Lautréamont), penser (à l’Ukraine et Israël), travailler (sur Raymond Roussel ou le Maharal de Prague)” ?

Bernard-Henri Lévy a le calme des auteurs sûrs d’avoir enfanté une œuvre essentielle. Pas nécessairement pour les autres mais pour eux-mêmes. Il dit : “C’est peut-être le plus important de mes livres”, il complète : “Peut-être celui dont j’attends le moins”, il précise : “Je ne cherche pas à convaincre”. Et on songe qu’il y a dans ces derniers mots beaucoup de sagesse et de résilience, puisque c’est le terme à la mode. Convaincre sur l’Ukraine, convaincre sur Israël, convaincre sur la Libye, mais ne pas chercher à convaincre que lui, le philosophe à la chemise blanche malgré ses guerres, est autre chose que sa caricature publique. Raisonnable.

Depuis bien longtemps donc, il ne dort plus et cet éveil ininterrompu peuple ses nuits des figures qui comptent : ses amours, celui de sa vie, Arielle Dombasle, sa fille adorée Justine, les amis précieux… Voilà pour la joie. Puis ses morts. Voici le problème, lui suggérait le camarade Philippe Sollers, “c’est que tu en as trop vu”. Comment se laisser aller après avoir observé les charniers, les cadavres, les blessés ? Tous le persécutent, il y tient : “Défendre Israël et sa stratégie n’empêche pas d’être bouleversé par ce qui se passe à Gaza à moins d’être un barbare, une brute.” Il insiste : “Les gens pensent que je fais le malin quand je dis que j’en ai trop vu. Mais non. Pas tant que ça. […] Mais s’il y en a un qui sait, qui a vu et entendu, je crois hélas que c’est moi, et ce n’est pas évident de retrouver le sommeil après ça.” On grimace. A peine 20 pages et déjà le BHLisme point. Cette tentation toujours de se tenir au centre. Au centre de l’événement, au centre des guerres, au centre de l’image…

On poursuit notre lecture, et on croise au fil de ses nuits agitées d’autres personnages, plus intimes ceux-là. Ici le père, André Lévy, qui dort peu et surgit au milieu de la nuit pour lire les pages raturées par son fils avant que l’encre n’ait fini de sécher. Aux côtés de “ce roi secret qui régnait sur la plupart de ceux qui l’approchaient, j’ai assisté à des renversements d’ascendant avec des personnages extrêmement considérables qui avaient toutes les raisons d’avoir de l’ascendant sur lui, confie BHL. Je me souviens de François Mitterrand face à mon père, en six minutes l’autorité s’était retournée, un phénomène chimique étrange.” Admiration sereine pour cet homme ou angoisse narcissique de ne pas le talonner ? Bernard-Henri Lévy n’en dit rien, pas un mot, et soudain le lecteur repense avec plus de compassion au beau rôle qu’il s’est façonné.

Enfin, la mort apparaît. La sienne. “Je me demande si l’insomnie n’est pas mortelle et je n’ai pas de réponse”, murmure-t-il. Serait-il inquiet ? Bien sûr que non, lui qui en a tellement vécu qu’il a “tendance à se sentir hors d’atteinte”. Il relate “les risques inconsidérés” pris sur ses tournages, il espère, il réclame une mort consciente, hanté par ces gens qui rêvent de mourir dans leur sommeil. On songe : “Encore une bravade toute BHLienne.” Il clarifie : “Je veux habiter ma mort, pour transmettre. C’est l’un des moments où on a des choses à dire à ses proches.” Alors tout s’éclaire. La cause de ses insomnies, de ce bouillonnement, de ces excès… La peur de partir sans bruit, sans trace.

Nuit blanche, par Bernard-Henri Lévy. Grasset, 190 p., 18,50 €.




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