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Paul Lynch : “Il y a quelque chose de particulier dans l’écriture irlandaise”


Epuisé ! Paul Lynch n’a pas d’autre mot pour qualifier son état. Depuis le 26 novembre 2023, jour de la remise du Booker Prize pour Le Chant du prophète (Prophet’s Song), époustouflant roman dystopique sur une Irlande basculant dans la tyrannie, l’écrivain de 47 ans a effectué deux à trois tours du monde, vendu plus de 500 000 exemplaires en langue anglaise de son best-seller, dont les droits ont été achetés par un producteur britannique et a été traduit dans une bonne trentaine de pays.

Pour autant, eu égard à la fidélité de son éditeur français, Albin Michel, le romancier au débit TGV, petite barbe de trois jours, yeux de loup et sourire d’agneau, accueille longuement la presse dans son antre dublinois. Aussi, en ce début décembre, lorsque, confortablement installé devant une bière, on lui demande ce que ce prestigieux prix a changé pour lui, la réponse est nette : “Tout ! Le lendemain de ma victoire, mon nom est apparu dans 3 000 médias et j’ai été en quelque sorte catapulté sur la scène mondiale, alors que je passe ma vie à écrire, au calme, du matin au soir.” Cinquième Irlandais à recevoir la prestigieuse distinction anglophone depuis 1969, Paul Lynch revient de loin. Confidences de Francis Geffard, son éditeur de chez Albin : “Peu avant le prix, Paul était très mal financièrement, il sortait d’une grave maladie, d’un Covid long, d’un divorce, avec la garde de ses deux enfants une semaine sur deux. Il en était réduit à acheter un vélo électrique d’occasion.”

Mais n’exagérons pas, Paul Lynch n’est pas passé soudainement de l’ombre à la lumière. Ses quatre précédents romans, Un ciel rouge, le matin, La Neige noire, Grace et Au-delà de la mer ont tous reçu des prix divers et été loués par la critique qui a vu dans cet ancien critique de cinéma un digne héritier de Cormac McCarthy ou encore un petit frère de Colum McCann, tandis qu’en bon Irlandais, il avoue avoir “absorbé” Joyce, Beckett et Yeats.

“Il y a quelque chose de particulier dans la façon dont nos écrivains abordent la langue, l’écriture irlandaise est unique, confie l’auteur. Vous savez, je plaisante toujours en disant que les Anglais ont colonisé les Irlandais, mais, nous, nous avons colonisé leur langue.” C’est à 30 ans que le natif de Limerick s’est décidé à se consacrer à la fiction. “J’étais dans un taxi sur l’île de Lipari et j’ai eu une révélation absolue, cette épiphanie qu’il me fallait écrire, que je vivais un mensonge et que si je ne changeais pas ma vie, je mourrais en homme amer. Je devais entrer en terra incognita.

Fin 2018, autre changement de cap subit, Lynch abandonne un manuscrit travaillé depuis six mois. “C’était un vendredi. Je savais au fond de moi que ce n’était pas le bon livre, je suis un conteur avant tout et là, je ne racontais pas d’histoire.” Le déclic est venu de la relecture du Loup des steppes d’Hermann Hesse, dévoré à l’âge de 20 ans. Harry Haller, son héros, regarde l’Allemagne de 1927, et voit le chaos, l’antisémitisme, la xénophobie et la guerre à venir, inéluctable. “Je me suis souvenu de ce passage, et j’ai eu un frisson, je me suis dit “mon Dieu, nous y sommes maintenant. C’est différent, mais nous y sommes maintenant”.

Et c’est comme cela que, dès le lundi, Paul Lynch a écrit sa première page, avec Alice au centre.” Alice ? Le personnage clé de ce roman, épouse d’un enseignant syndicaliste arrêté par une police secrète, qui va, tout au long de ce récit édifiant aussi angoissant qu’exaltant, tenter de protéger ses quatre enfants dans une Irlande tombant peu à peu dans l’arbitraire et la violence – jusqu’à ce que ses citoyens cherchent à s’exiler à l’instar de tous les persécutés du monde. Le lecteur est pris à la gorge, notamment en raison du style riche en longues phrases qui le propulsent au plus près des événements et des émotions, tandis que l’absence de paragraphes provoque une sensation de claustrophobie et d’asphyxie.

Afin de rendre le drame universel, l’action se déroule en Irlande, pays démocratique par excellence, et non en Syrie, en Ukraine ou à Gaza. C’est que Paul Lynch est très pessimiste : “Hier, nous avions un consensus sur ce qu’était la vérité objective, nous respections les experts et les institutions. Avec les médias sociaux, la raison objective se fragmente et le tribalisme, souvent destructeur, prend le dessus sur la civilisation.” Mais rassurons-nous, comme dit Lynch : “Je ne suis pas un prophète, je suis juste un romancier”.

Le Chant du prophète, par Paul Lynch, trad. de l’anglais (Irlande) par Marina Boraso, Albin Michel, 304 p., 22,90 €.




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