Le 7 janvier, un avion estampillé Trump atterrit en milieu de journée sur l’aéroport enneigé de Nuuk, la capitale du Groenland. Il en descend Donald Trump Jr, le fils aîné du futur président américain, officiellement pour un voyage privé. Quelques heures plus tard, “Don Junior” est déjà de retour sur le sol américain. Et sur la chaîne conservatrice Fox News, il se montre très critique : “Il semble qu’il y ait beaucoup de racisme là-bas, insiste-t-il. De nombreux Groenlandais sont venus nous voir et nous ont dit qu’ils étaient quotidiennement traités comme des citoyens de deuxième ou de troisième zone au Danemark [et] qu’on leur demandait de rentrer chez eux.”
Cette escapade calibrée vient conforter les visées expansionnistes, tout du moins déstabilisatrices pour ses alliés, des Etats-Unis de l’ère “Trump 2”. Car au moment où le fils se trouvait à Nuuk, le père, de son côté, tenait une conférence de presse explosive. Au cours de celle-ci, il a refusé d’exclure tout recours à la force pour annexer aussi bien le Groenland que le canal de Panama, à la suite d’une question sur ce point. “Je ne peux pas vous l’assurer, sur aucun des deux”, a-t-il affirmé avec morgue.
A Noël, l’homme d’affaires avait réitéré les prétentions de son premier mandat sur la grande île arctique, affirmant que ses habitants ont besoin des Etats-Unis “pour leur sécurité nationale” et “veulent [qu’ils] soient présents”, ajoutant “nous le serons”. Il a également fustigé un Panama faisant “payer [les] navires [américains] davantage que les navires d’autres pays” pour le passage du canal, en promettant que “cette arnaque totale […] cessera immédiatement”. Et ce n’est pas tout : il a affirmé que, pour lui, le Canada est un possible “51e État” – depuis, son Premier ministre, Justin Trudeau, qu’il a qualifié de simple “gouverneur”, a démissionné – et annoncé son intention de rebaptiser le “golfe du Mexique” en “golfe d’Amérique”.
Vladimir Poutine, faussement ironique, avait affirmé que “la Russie [n’avait] pas de frontières”, c’est-à-dire nulles autres que celles qu’elle se donne. Donald Trump semble le rejoindre dans cette approche de la force au détriment du droit. “Cela coïncide avec la vision poutinienne et chinoise d’un monde qui n’aurait plus d’ordre international, avec une hégémonie américaine, mais un monde fait de sphères d’influence contrôlées par des puissances régionales, pointe le géographe et ancien diplomate Michel Foucher. Si Trump dit que toute l’Amérique du Nord et l’Amérique centrale, c’est lui, quel argument les Occidentaux peuvent-ils opposer à un Kremlin qui considère qu’il n’y a pas d’Ukraine ?”.
Les sorties de Trump forment un mauvais signal pour les Ukrainiens. Comme ils le craignent, ils pourraient bien se voir presser par la Maison-Blanche de faire des concessions léonines à Vladimir Poutine, après treize années à défendre leur territoire contre l’impérialisme russe, de l’annexion de la Crimée à l’invasion sanglante commencé en février 2022. Les récentes déclarations du 47e président américain constituent en tout cas un nouveau clou dans le cercueil de l’ordre international tel qu’il s’est structuré durant la Guerre froide et ensuite. “La présidence de Joe Biden est le dernier spasme d’une Amérique gardienne de l’ordre post-1945, estime Michel Foucher. Sa vision des choses était en décalage complet avec celle de l’opinion publique américaine et celle des républicains.” Dans ce moment de bascule, il y a urgence, pour les Européens, à se donner les moyens de prendre en charge leur sécurité.
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