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Stress post-traumatique : ce que nous apprennent les IRM des victimes des attentats de novembre 2015


A quoi ressemble le cerveau d’un grand traumatisé ? Contrairement à une cheville cassée, qui gonfle et bleuit, les blessures de l’esprit, elles, restent secrètes. Impossible de les voir, même en ouvrant le crâne des victimes. Pour savoir si une personne victime de trouble post-traumatique va mieux, si ses pensées ne sont plus nécrosées par les souvenirs douloureux, il faut observer son comportement, déchiffrer ses peurs une à une et remonter petit à petit le fil de son quotidien fracturé. Du moins, il le fallait.

Pour la première fois, des chercheurs ont pu observer “physiquement”, la rémission de victimes d’un trouble post-traumatique. Pour ce faire, les scientifiques, une équipe française menée par le neurologue Pierre Gagnepain, ont convaincu 34 patients victimes d’attentats de se soumettre à une série d’IRM, à différentes étapes de leur parcours médical. Ils ont ainsi pu constater, quasiment de leurs yeux, les améliorations de leur cerveau meurtri.

De tels clichés ont déjà été réalisés par le passé. Mais jusqu’à présent, ces études ne permettaient pas de retracer les changements cérébraux associés à la rémission, ni de les caractériser. Publiée ce mercredi dans Science Advances, l’étude de Pierre Gagnepain présente une double spécificité : elle permet de suivre l’évolution du cerveau dès les premiers mois après l’exposition à l’évènement traumatique et à plusieurs semaines d’intervalle. Et surtout, elle réunit dans une seule cohorte nommée “Remember” des victimes d’un même événement : les attentats de novembre 2015, qui ont fait 130 morts à Paris.

Les traces des attentats dans le cerveau

“C’est un travail bien mené, très intéressant. Il permet de mettre en lumière des mécanismes peu connus et présente un haut niveau de certitudes dans les interprétations qui peuvent en être faites, ce qui est difficile à obtenir pour ce type d’étude”, commente le psychiatre Wissam El Hage, responsable du Centre Régional du Psychotraumatisme du Val de Loire, qui n’a pas participé à l’étude.

Les observations de l’équipe de Pierre Gagnepain sont loin d’être aussi lisibles qu’une cheville endommagée : on y voit seulement des traits, et des points répartis sur des graphiques, “l’empreinte laissée par l’activité cérébrale sur l’IRM”, traduit le chercheur, qui officie à l’université de Caen. Mais ces résultats, aussi énigmatiques soient-ils pour le commun des mortels n’en sont pas moins importants. “Ils ouvrent de nouvelles perspectives dans la recherche sur les troubles post-traumatiques”, poursuit Wissam El Hage.

Ces maux sont encore mal appréhendés par les médecins et les scientifiques. Les études se heurtent à de nombreux obstacles : à la difficulté d’interpréter les analyses cérébrales, s’ajoute celle de convaincre les patients de se prêter à ces exercices, alors qu’ils peinent à mener une existence convenable. “On pensait qu’on allait essayer de nombreux refus, mais on a été surpris de voir qu’une partie des victimes tenait à nous aider, pour justement se réapproprier leur vécu”, raconte Pierre Gagnepain.

Le trouble post-traumatique, d’abord un problème de mémoire

Jusqu’à présent, les chercheurs s’étaient principalement concentrés sur la mise en mémoire de l’événement traumatique. Ils tentaient ainsi de déchiffrer dans le cerveau, ce qui faisait que le souvenir traumatisant était aussi effrayant chez certains patients, pourquoi il revenait sans cesse chez ces personnes, les replongeant dans l’horreur qu’elles ont vécue, quand d’autres ne présentaient pas de problèmes particuliers en dehors des souffrances dites “normales” liées à ce qu’elles ont vécu.

De nombreux travaux ont mis en évidence une atteinte de l’hippocampe, la zone du responsable de l’apprentissage et de la mémoire. Mais si les patients traumatisés présentent souvent un hippocampe “rétrécit” et sursollicité, les chercheurs ignorent pourquoi. Des fragilités antérieures, génétiques, biologiques, ou dans les expériences précédentes du patient peuvent en être la cause. Tout comme le stress, connu pour nuire au bon fonctionnement de l’organisme.

Pour dépasser ce cul-de-sac, l’équipe de Pierre Gagnepain a eu l’idée de s’intéresser à une autre facette du problème : “Au lieu de regarder ce qui n’allait pas dans la mémoire, on a voulu savoir pourquoi les personnes traumatisées n’arrivaient pas à lutter contre leurs souvenirs défectueux”, explique le scientifique. Pour ce faire, les chercheurs ont demandé aux patients de réaliser des exercices cognitifs durant l’IRM. “On leur a d’abord fait associer un mot à une image, de sorte que celle-ci surgisse systématiquement dans leur esprit, comme un mauvais souvenir. Puis, durant l’examen, on leur a demandé de bloquer ce phénomène, pour mesurer l’activité cérébrale liée à cette action”.

Faire le tri, bloquer les souvenirs douloureux

Les patients qui présentaient une plus grande capacité de tri et de contrôle de leurs souvenirs lors des premiers examens ont été moins souvent et moins longtemps victimes de troubles. A l’inverse, les personnes qui ont été le plus longtemps affectées présentaient un cerveau à faible plasticité et à l’activité anormale. Comme si le traumatisme, ou une fragilité antérieure, avait figé leur matière grise. “Ces personnes ont du mal à évoluer dans un environnement stressant parce qu’elles étaient systématiquement replongées dans leur mémoire traumatique. On a dû leur dépêcher des taxis pour les faire venir jusqu’au CHU, et on leur a réservé des chambres d’hôte en campagne. Les faire dormir dans le bruit de la ville était impossible”.

D’autres recherches seront nécessaires pour connaître les implications exactes de ces découvertes. Mais elles sont enthousiasmantes : “Avant, on pensait qu’il y avait les personnes vulnérables, fragiles vis-à-vis du risque de traumatisme, et les autres. Nos résultats tendent à montrer que les choses sont plus compliquées, et qu’il y a un certain nombre de mécanismes impliqués qui empêchent le retour à la normale de l’individu exposé à une situation traumatique”, continue Pierre Gagnepain.

L’étude change également la donne quant à la réponse à apporter. Jusqu’à présent, les traitements proposés étaient paradoxalement basés sur la réexposition au traumatisme. “Pour oublier le choc, il faut d’abord s’en souvenir, se replonger dans les mêmes conditions, puis faire comprendre à son cerveau que le danger n’est plus là. Si vous voyez une araignée dans votre cuisine et que vous n’y retournez plus jamais, vous ne vaincrez jamais la peur associée. Elle restera là. Si vous y allez plusieurs fois, sans que rien ne se passe, vous arriverez à vous détendre”, traduit Pierre Gagnepain.

Les travaux du scientifique confirment l’importance de travailler d’autres mécanismes, notamment ceux utilisés pour “bloquer”, ou se soustraire, aux mauvaises pensées. “On peut imaginer plus facilement les programmes, les entraînements ou les molécules qui pourraient favoriser la rémission. On est loin d’ouvrir la voie à de nouvelles thérapies, mais on voit que travailler la plasticité cérébrale, la fabrication de nouveaux circuits de neurones permettant d’inhiber les souvenirs douloureux pourrait être intéressant”, complète le Pr Wissam El Hage.




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