200 000 dollars pour chaque soldat américain ou de la coalition internationale tué en Afghanistan : c’est l’accord qui aurait été proposé à l’époque par la Russie aux talibans, selon le média d’investigation indépendant russe The Insider. Une enquête publiée conjointement avec le quotidien allemand Der Speigel, mercredi 8 janvier, fournit de nouvelles preuves sur la manière dont les services de renseignement militaires russes (GRU) auraient financé les talibans dans le but de commettre des attaques contre les forces américaines et internationales avant qu’elles ne se retirent d’Afghanistan, dont une en décembre 2019, contre la base aérienne de Bagram, dans laquelle quatre membres du personnel américain ont été blessés.
La découverte du stratagème avait déjà été révélée en 2020 par le New York Times, mais l’enquête apporte de nouvelles précisions sur le mode opératoire de la Russie. Selon l’enquête, l’opération a été supervisée par le général de corps d’armée Ivan Kasianenko, commandant adjoint de l’unité 29155, un groupe à l’origine d’une série d’attentats à la bombe et d’empoisonnements dans les pays de l’Otan. La Russie aurait versé aux talibans au moins 30 millions de dollars en tout pour les attaques contre les soldats de la coalition, accusations qu’elle a toujours niées.
Sociétés écrans et pierres précieuses
Au total, le renseignement afghan aurait répertorié au moins 17 attaques “en lien avec des incitations financières en provenance de Russie, via un réseau sophistiqué de transfert d’argent impliquant des coursiers au Tadjikistan, en Chine et au Pakistan”. L’unité 29155 aurait recruté au moins trois réseaux de ressortissants afghans pour servir d’intermédiaires entre elle et des groupes armés illégaux en Afghanistan à partir de 2015. L’argent utilisé pour payer les talibans aurait ensuite été blanchi via une société écran de négoce de pierres précieuses, enregistrée à une adresse de Moscou liée au siège du GRU.
Les sommes versées par la Russie aux talibans (30 millions de dollars) seraient néanmoins bien plus faibles, rappelle The Insider, que les quelque quatre milliards de dollars dépensés par la CIA dans les années 90 pour l’opération Cyclone – le programme secret destiné à financer, armer et entraîner les moudjahidines, pour chasser l’armée soviétique d’Afghanistan.
“Crainte d’une escalade”
L’enquête révèle aussi que les Américains avaient connaissance de ce système de prime à l’assassinat à l’encontre de leurs soldats, mais que l’administration de Donald Trump ne souhaitait pas, à l’époque, rentrer en confrontation avec Vladimir Poutine. “Nos services de renseignement ne voulaient pas être confrontés à la question éternelle : D’accord, les Russes nous font du mal, alors qu’allons-nous faire à ce sujet ?”, a déclaré Charles Kupperman, conseiller adjoint à la sécurité nationale durant le premier mandat de Donald Trump.
Des agents de la CIA qui ont analysé les renseignements sur les opérations afghanes du GRU parlent quant à eux de “sagesse conventionnelle”, évoquant des enjeux géopolitiques. “Il y a eu de nombreux cas où nous avons reçu des coups de poing au visage et où on nous a dit de ne rien faire par crainte d’une escalade”, a déclaré un ancien agent de la CIA au média. C’était l’un d’entre eux.”
Tentatives de sabotage
Le programme aurait démarré au moins en 2015 et aurait “atteint son apogée” vers 2016, lorsque Donald Trump a été élu pour son premier mandat présidentiel. L’objectif de ces opérations ? Accroître la pression sur les forces internationales pour précipiter leur retrait, survenu en août 2021, expliquent The Insider et Der Spiegel. Les attaques ont ainsi cessé après que le président américain de l’époque, Donald Trump, a conclu un accord début 2020 pour se retirer d’Afghanistan.
Les tentatives russes de saboter les plans des Etats-Unis en Afghanistan sont en réalité aussi vieilles que la présence de ces derniers dans le pays. Presque immédiatement après la mise en place de l’administration intérimaire afghane (soutenue par l’Otan) en décembre 2001, Moscou a entrepris de recruter des agents au sein des talibans.
Depuis, les Etats-Unis ont achevé leur retrait d’Afghanistan en 2021, dans un contexte chaotique, précipitant l’effondrement du gouvernement afghan soutenu par Washington et le retour des talibans au pouvoir. Moscou a depuis renforcé son partenariat avec ce régime, toujours considéré, malgré tout, comme organisation terroriste en Russie. L’enquête indique, par ailleurs, que l’officier du GRU chargé à l’époque du “programme GRU-Taliban” continue aujourd’hui d’agir comme un “interlocuteur”, négociant une coopération militaire entre Moscou et Kaboul.
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