Écologiste, président d’Ensemble sur nos territoires, le sénateur Ronan Dantec est inquiet. Selon lui, nombre de sujets importants et relatifs à l’énergie ne sont pas débattus. Comme si la France avançait les yeux fermés, comptant sur la chance pour éviter les écueils à venir. En se voilant la face sur les coûts réels de l’électricité, notre pays se prépare à de sérieuses déconvenues, prévient cet adepte de la planification. Non seulement la France souffre du syndrome du village d’Astérix sur le plan européen, mais elle risque, à terme, la surproduction d’électricité, tant nous manquons de coordination, entre d’un côté le développement des énergies renouvelables et de l’autre, l’essor du nucléaire.
L’Express : Pourquoi tirez-vous la sonnette d’alarme sur la politique énergétique française ?
Ronan Dantec : Parce que notre système énergétique part dans tous les sens, ce qui montre qu’il n’est pas suffisamment piloté. Si l’on continue comme si de rien n’était, nous courons à la catastrophe, un peu comme lorsqu’un coureur cycliste entraîne dans sa chute une bonne partie du peloton. Par exemple, on ne regarde pas assez les coûts de production de l’électricité à l’étranger. Or, il s’agit d’une question centrale puisque notre compétitivité économique en dépend.
En matière de nucléaire, les derniers coûts connus pour l’EPR restent ceux de Hinkley Point, soit 120 euros par mégawattheure produit. Or cet été, EDF a remporté un contrat en Israël pour la réalisation d’une centrale solaire dont le coût de production dépasse à peine 17 euros par mégawattheure. Comment va-t-on faire demain pour gérer de tels écarts ? Cette question devrait être sur la table, étant donné l’augmentation inéluctable des interconnexions au sein de l’Europe et la rapidité avec laquelle l’éolien et le solaire se développent au sud et au nord du Vieux Continent. Nous allons voir arriver sur le marché français des électrons bien moins chers que ceux que nous produisons avec le nucléaire. Étrangement, cette question n’est nullement débattue !
Quelles pourraient être les implications de l’arrivée de ces électrons bon marché ?
Plusieurs scénarios sont possibles. La France pourrait tenter de se replier sur elle-même, en ne laissant pas entrer les électrons venant des autres pays et en freinant les interconnexions. Mais on voit bien que cette position serait difficile à tenir au niveau européen. Par ailleurs, certaines de nos entreprises pourraient décider de tenter l’aventure dans d’autres pays, pour bénéficier des coûts de production d’électricité les plus faibles. Cette question de l’insertion du modèle français au sein de l’Europe doit être posée. Tel le village d’Astérix, nous ne regardons pas suffisamment ce qui est en train de se passer chez nos voisins.
La sempiternelle opposition entre nucléaire et renouvelables empêche-t-elle la France de choisir un cap ?
La filière nucléaire est à l’offensive. Mais dans la situation actuelle, il n’y a aucune coordination entre ces deux filières. Elles participent pourtant à l’avenir énergétique de la France, comme indiqué dans le document cadre de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Mais en coulisses, certains acteurs du nucléaire veulent stopper le développement des énergies renouvelables (EnR). Et les défenseurs du solaire et de l’éolien s’inquiètent d’éventuels “stop-and-go” et des périodes de prix négatifs qui freinent l’investissement. On a décidé de développer le renouvelable et de maintenir tout le nucléaire. Mais en vérité, on ne sait pas comment gérer l’ensemble.
La France et l’Europe risquent même à terme la surproduction d’électricité, car la décarbonation ne va pas assez vite. Il y a un énorme enjeu à ne pas affaiblir le Green Deal européen, qui est notre réponse à la crise ukrainienne et à notre dépendance au gaz russe et aux fossiles. En France, non seulement nous n’avons pas de stratégie coordonnée mais nos contraintes budgétaires se traduisent par un recul des aides à l’électrification, très perceptible sur l’effondrement des ventes de pompes à chaleur. La consommation électrique n’augmente pas comme prévu dans les scénarios de RTE, le gestionnaire français du réseau. Jusqu’ici, le marché allemand, qui a besoin d’importer des électrons quand le vent ne souffle pas suffisamment, permet d’absorber le surplus d’électricité. Mais pour combien de temps ?
Qu’en est-il du rapport de force entre EnR et nucléaire au niveau européen ?
La France joue sa partition. Elle souhaite revoir les objectifs de déploiement des énergies renouvelables pour éviter de payer des pénalités car elle est en retard. Elle veut également remettre en cause le système de régulation qui donne priorité aux énergies renouvelables sur le réseau électrique européen. Cependant, le rapport de force reste favorable aux énergies renouvelables. Il ne faut pas oublier que les Allemands, les Espagnols, et les pays du Nord ont investi des sommes considérables. Ils ne sont donc pas prêts à donner au nucléaire un accès privilégié au réseau.
Comment sort-on de cette situation ?
Par le débat et la planification. Nous avons en France trois industriels majeurs. Engie dans les renouvelables, EDF dans le nucléaire, Total dans les énergies fossiles et renouvelables. Il nous faut absolument articuler ces trois acteurs. Aujourd’hui, ils n’ont pas de consignes. C’est comme si on leur disait : “Que le meilleur gagne”. Nous devons aussi développer fortement le stockage de l’électricité pour le coupler aux énergies renouvelables, ce qui passe par la définition du rôle de nos grands barrages hydroélectriques.
Surtout, il nous faut éviter les “stop-and-go” en matière de politique énergétique. Il pourrait y en avoir sur les EnR à l’avenir, si par exemple la surproduction devient chronique. Pour être compétitifs, il nous faut viser un coût de production d’environ 80 euros par mégawattheure pour la production d’électricité et 20 euros pour le stockage. Enfin, n’oublions pas d’investir dans la transition énergétique en Afrique. Investir dans les pays en développement est le plus rentable du point de vue de la lutte contre le changement climatique. Or, actuellement, on assiste plutôt à un retrait des acteurs français dans cette zone.
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