* . * . * .

“La nation est Charlie” : l’édito de L’Express du 11 janvier 2015, par Christophe Barbier


Les Français aiment les dates, et considèrent leur épopée comme une série de jours de gloire ou de colère, de triomphes ou de désastres. Pierres noires et blanches jalonnent le long calendrier, comme des notes sur une portée, et de cette partition surgit un hymne national aussi poignant que fier, où l’adagio vaut l’allegro. Les numérologues feront donc leurs choux gras de l’an 2015, qu’ils placeront sur l’étagère à côté de l’année de Waterloo ou du millésime d’Azincourt, à moins qu’ils ne le rapprochent de la mort de Louis XIV ou de la croisade contre les albigeois…

Quant aux historiens, ils inscriront le 11 janvier de cette année dans la suite des grands rassemblements tricolores, inaugurée par la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790 : ce jour-là, il s’était agi déjà, pour les Français, de “faire peuple”.

Unis autour d’une même tristesse et d’une même colère

C’est pourtant une autre histoire de France qui s’est écrite dimanche, loin de la chronique. Une Histoire où l’on parle de mouvement plus que d’événement, une Histoire qui est moins une affaire de foule que d’âme. Le 11 janvier 2015 est une incarnation inédite du pays, une sculpture collective surprenante. Sans consigne aucune, les mêmes ambiances ont fleuri à travers le territoire, sereines et empathiques, enluminées soudain de salves d’applaudissements et de calmes Marseillaise. Quand des millions de citoyens, spontanés et désintéressés, se dressent de la même façon, cela s’appelle une identité nationale.

Quels Français avons-nous tous été capables d’être, le temps d’une marche ? Quelle France avons-nous formée, moitié soleil et moitié frimas ? Comment empêcher qu’elle ne s’évapore avec le chagrin ? Comment éviter qu’elle ne disparaisse sous la poussière du quotidien, un bref temps balayée par le souffle de la violence et qui, déjà, retombe ?

Cette nation unie autour d’une même tristesse et d’une même colère, et pourtant dépourvue de désespoir et de haine, semble à la fois étrange et familière. Familière, parce que c’est la France éternelle, celle des sursauts et des solidarités, celle qui transcende ses zizanies pour dire non aux ennemis de la liberté. Etrange, parce qu’on ne l’avait pas vue, cette France-là, depuis bien longtemps.

Le pays de la morosité et de l’égoïsme, le pays du rejet de l’autre et des corporatismes, le pays du dédain et du déclin : voilà ce qu’elle était devenue, à force de clichés ou d’essais fatalistes, mais aussi par la faute d’un abandon collectif. Le 11 janvier 2015 montre qu’une autre France est disponible, qu’elle est là, juste à côté de nous, reléguée en coulisse par notre défaitisme et notre déprime volontaire. Pas besoin de résurrection française, car la France est vivante : c’est d’un bâillon que nous l’avons affublée, pas d’un linceul !

Un cri de ralliement planétaire

Depuis le 7 janvier, l’étranger nous adresse les preuves les plus touchantes de notre vitalité et de notre importance. Que la France soit frappée, et le monde libre tressaille. A la compassion qui surgit chaque fois qu’une démocratie est agressée s’ajoute un émoi supplémentaire quand il s’agit de notre pays. Parce que chaque citoyen de chaque contrée sur cette terre se sent redevable, l’un à Voltaire, l’autre à Hugo, le troisième à Zola ou à Aragon. Parce que les droits de l’homme ont un berceau, et qu’il est ici. “Je suis Charlie”, ce cri de ralliement planétaire, c’est celui de Gavroche et de Marianne, de Jean Valjean et de La Fayette, c’est le cri du capitaine Dreyfus et du général de Gaulle.

Quand l’Histoire lui rappelle qu’elle est universelle, la France s’effraie souvent et préfère fuir la grandeur retrouvée pour glisser dans une discrète démission. En 2003, après avoir montré au monde l’impasse de la guerre en Irak, elle n’a pas su orchestrer une autre géopolitique. Cette fois, elle ne peut faillir à sa mission et doit tenir son rang, à l’avant-garde de la lutte contre l’islamisme. Encore éblouis par la lumière du deuil et de la fierté, nous savons depuis dimanche que c’est un problème non de moyens, mais de volonté collective.




Source

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .