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Livres : l’incroyable vie de la religieuse et résistante Yvonne-Aimée de Malestroit


Les femmes plus ou moins oubliées à réhabiliter (comme l’a fait Olivier Guez avec Gertrude Bell à la dernière rentrée) sont devenues un marronnier marketing. Jean de Saint-Cheron a trouvé un créneau plus original : sortir de la naphtaline des figures religieuses féminines et en parler de manière très vivante, drôle même, dans le sillage d’une certaine sainte trinité littéraire formée par Léon Bloy, Charles Péguy et Georges Bernanos. Deux ans après un livre sur sainte Thérèse de Lisieux (Eloge d’une guerrière), qui a été un succès de librairie, Saint-Cheron revient avec un sujet plus pointu : Malestroit raconte l’incroyable vie d’Yvonne Beauvais (1901-1951), qui fut bien plus que “puissante”, “inspirante” ou autre épithète creuse – ce n’est pas le général de Gaulle qui nous contredira, nous y reviendrons.

Née dans la bourgeoisie, la jeune Yvonne avait un destin tout tracé : épouser un ingénieur et lui donner une nombreuse descendance. Problème : dès la petite enfance, elle découvre Histoire d’une âme de Thérèse de Lisieux, et veut l’imiter. Très tôt, elle sert les pauvres dans les quartiers les plus déshérités de la banlieue parisienne. Elle renonce à se marier et devient bonne sœur à Malestroit, en Bretagne. Souffrant de migraines encore pires que celles de Blaise Pascal, elle n’est pas banale : des fleurs apparaissent dans sa bouche, elle combat le diable physiquement, porte les stigmates du Christ et a le don de bilocation (elle peut se trouver à deux endroits en même temps) – oui, ce récit s’aventure dans le surnaturel, diront les croyants ; ou dans le paranormal, répondront les incrédules.

Quand éclate la Seconde Guerre mondiale, Yvonne s’engage dans la Résistance. La clinique qu’elle a ouverte à Malestroit lui permet de soigner des dizaines de blessés. Elle cache des juifs, des maquisards et des parachutistes alliés avant et après avoir été torturée par la Gestapo. En juin 1945, elle reçoit la croix de guerre avec palme. Un mois plus tard, de Gaulle en personne fait le déplacement à Vannes pour lui remettre la Légion d’honneur. Après s’être découvert, il salue la “magnifique conduite” de cette nonne pas comme les autres. Elle deviendra son ange gardien, ainsi que celui de son épouse. Yvonne de Gaulle voue en effet une sorte de culte à Yvonne Beauvais – à partir de 1945, elle conservera sur elle une image de la religieuse. Le 22 août 1962, après que 14 balles tirées au fusil-mitrailleur auront atteint la DS présidentielle lors de l’attentat du Petit-Clamart, la première dame de France sera formelle : son couple doit son salut à la protection de l’autre Yvonne, qui veille sur eux de là-haut. Tout le monde n’aura pas cette dévotion. Après sa mort en 1951, un dossier de canonisation d’Yvonne avait été déposé au Vatican. Mais, en 1960, le cardinal Ottaviani s’oppose à ce qu’on aille plus loin dans l’étude de son cas, pour ce motif hallucinant de la part d’un homme d’Eglise : “Trop de miracles.” S’il était encore de ce monde, Ottaviani aurait des sueurs froides en lisant Malestroit…

Loin de l’idéologie

Les esprits retors noteront que ce livre sort chez Grasset, donc chez Hachette, propriété de Vincent Bolloré. L’hagiographie d’une religieuse du Morbihan, voilà qui a tout pour enchanter le milliardaire breton. Après avoir fait du prosélytisme dans ses médias (à Paris Match hier, au JDD aujourd’hui), va-t-il désormais transformer ses maisons d’édition en couvents et presbytères ? L’an dernier, Amandine Cornette de Saint Cyr a bien marché avec Au secours sainte Rita, publié chez Fayard, autre filiale d’Hachette. Rassurons les bouffeurs de curés : Vincent Bolloré n’est pas encore doué de bilocation, et il n’a pas le temps de dicter leurs livres aux auteurs de son groupe.

En retraçant le parcours d’Yvonne Beauvais, Saint-Cheron ne fait jamais d’idéologie (croisade anti-woke, etc.). Il parvient même à citer Françoise d’Eaubonne, la philosophe écoféministe qui, en 1971, fut cofondatrice du flamboyant Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) ! La façon qu’il a de dépoussiérer ce genre littéraire a priori suprêmement ringard qu’est la vie de saint rappelle le Yann Moix de Mort et vie d’Edith Stein, paru en 2008. On sent, surtout dans la deuxième partie du récit, où il met en scène des nazis qui semblent échappés de La Grande Vadrouille, que Saint-Cheron s’émancipe des archives sur lesquelles il travaille pour flirter avec la fiction. Se convertira-t-il pour de bon au roman à l’avenir ? On suivra de près ses prochains livres.

Malestroit, par Jean de Saint-Cheron. Grasset, 215 p., 20 €.




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