* . * . * .

Grippe aviaire : comment le monde se prépare à affronter une pandémie


Pile, une pandémie. Face, la menace disparaît. La pièce est jetée en l’air, et bien malin qui pourrait prédire de quel côté elle retombera. Le virus de la grippe aviaire H5N1 circule abondamment chez les animaux – oiseaux et mammifères sauvages ou domestiques, et surtout dans les troupeaux de bovins aux Etats-Unis. Ses incursions chez l’Homme atteignent des niveaux rarement vus, avec 66 cas en 2024 outre-Atlantique dont deux graves, et un premier décès début janvier. S’il s’agit d’infections sporadiques, la crainte que ce nouvel ennemi ne finisse par devenir transmissible dans notre espèce est dans toutes les têtes.

Totalement imprévisibles, les virus grippaux n’en restent pas moins redoutables, et redoutés. Celui-ci en particulier, et notamment sa version retrouvée chez les oiseaux : depuis son émergence dans des élevages de poulets à Hongkong en 1997, il a tué de 30 % à 50 % des humains infectés, heureusement peu nombreux. Le premier mort américain a d’ailleurs été contaminé par un oiseau sauvage. Sa variante détectée dans les fermes bovines s’est, elle, adaptée au pis des vaches – elle semble se transmettre avant tout par contacts avec le lait contaminé, et n’a jusqu’ici donné que des cas bénins. “A ce stade, le niveau d’alerte reste faible, mais la situation est jugée suffisamment critique par les autorités sanitaires un peu partout dans le monde pour que la préparation soit lancée”, résume la Pr Brigitte Autran, la présidente du Covars, le comité de veille et d’anticipation des risques sanitaires.

Surréaction après le dénuement de la planète face au Sars-CoV-2 ? Toujours est-il que contre H5N1, notre arsenal paraît mieux rempli. Des vaccins, d’abord, se trouvent en développement. Les injections saisonnières ne seraient en effet d’aucune utilité : il faudra des produits adaptés, plus complexes à produire. Habituellement, les industriels injectent la souche virale en circulation dans des millions d’œufs, où le virus se multiplie avant d’en être extrait puis inactivé. Impossible avec un H5N1. “Comme ce virus est hautement pathogène pour la volaille, il le serait aussi pour les œufs. La souche virale doit donc être modifiée génétiquement en amont, pour la rendre moins dangereuse et lui permettre de se multiplier dans les œufs”, explique la Pr Marie-Anne Rameix-Welti, responsable du Centre national de référence des infections respiratoires, à l’Institut Pasteur de Paris.

Vaccins : encore des goulots d’étranglement

La préparation de ces souches virales adaptées relève de la compétence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). L’institution onusienne en a même déjà tout un catalogue. Deux fois par an, en même temps qu’ils choisissent les souches à inclure dans les vaccins saisonniers, ses experts identifient dans la nature les virus zoonotiques potentiellement menaçants, pour lesquels il semble important de disposer de souches vaccinales modifiées “prêtes à l’emploi”. Celles-ci sont produites par des centres partenaires de l’organisation internationale, comme les CDC (centres pour le contrôle et la prévention des maladies) américains. “Des tests avec les virus H5N1 en circulation aux Etats-Unis ont montré que deux des souches modifiées déjà disponibles offriraient une protection”, indique Margaret Harris, porte-parole de l’OMS. Si besoin, elles seraient mises à la disposition des industriels pour qu’ils fabriquent les injections. De quoi gagner quelques semaines.

Une avance précieuse, car si la technique classique de production de vaccins antigrippaux sur œuf est bien rodée, elle ne permet ni une grande réactivité, ni une multiplication exponentielle des volumes. “Par définition, il faut des œufs, beaucoup d’œufs, et des œufs d’une nature particulière, puisqu’ils sont ’embryonnés’ : rien à voir avec ceux que l’on trouve dans le commerce”, rappelle Marie-Paule Kieny, virologue et ancienne présidente du comité scientifique vaccin Covid-19. Les industriels en commandent une ou deux fois par an, au moment où ils lancent la fabrication des doses contre la grippe saisonnière. Si l’alerte survenait juste avant le démarrage de la production, celle-ci pourrait être réorientée, mais plus tard, les œufs ne seraient plus disponibles : il faudrait attendre d’en obtenir à nouveau.

Un autre goulet d’étranglement identifié par l’OMS dans un rapport encore non publié concerne le “fill and finish” : l’étape de remplissage des flacons. Les capacités actuelles, jugées insuffisantes, pourraient aussi limiter la production. “Des essais cliniques avaient par ailleurs montré qu’il faudrait deux doses pour obtenir un bon niveau de protection, contre une seule pour la grippe saisonnière. En réorientant toutes les lignes de production disponibles, il est probablement assez réaliste de penser qu’on arriverait à vacciner 1,5 milliard de personnes en une année”, estime Marie-Paule Kieny.

Enorme, mais insuffisant pour protéger rapidement la planète entière. Comme pour le Covid, la technologie ARN messager nous sauverait-elle ? A date, aucun vaccin antigrippal basé sur cette plateforme n’est commercialisé. Mais les développements vont bon train. La firme américaine Moderna a annoncé en juin que son vaccin combiné Covid-grippe saisonnière déclenchait une bonne réponse immunitaire. Un jalon essentiel, première preuve que l’ARN messager pourrait fonctionner contre les virus influenza. Depuis, Moderna et les CDC américains ont publié mi-décembre une étude dans la prestigieuse revue Science montrant qu’un vaccin H5N1 à ARN messager était efficace pour protéger les furets, le modèle animal privilégié pour les infections respiratoires. Pfizer, GSK et des équipes académiques américaines sont aussi sur les rangs.

La course aux commandes est lancée

La grande question sera ensuite d’obtenir les injections – on se souvient des batailles entre les Etats pendant la pandémie de Covid… Certains pays possèdent déjà des stocks adaptés aux précédentes souches de grippe aviaire. “Ils ne seraient pas forcément inutiles : les flacons non périmés pourraient servir de premières doses”, indique la Pr Marie-Anne Rameix-Welti. Reste que la course aux commandes de vaccins adaptés est déjà lancée. Les Etats-Unis ont acheté un total de 10 millions de doses auprès de trois producteurs. Comme à l’époque du Covid, le gouvernement américain s’est aussi engagé à financer les dernières étapes du développement du vaccin de Moderna. De quoi garantir ensuite un accès privilégié à sa production. Les Européens, de leur côté, attendent une livraison de 665 000 doses, et ont signé une option d’achat pour 40 millions de vaccins auprès du fabricant Seqirus. “La France en a réservé plusieurs dizaines de milliers. Ce petit stock permettrait de vacciner en anneau autour d’éventuels cas de contamination humaine dans un élevage par exemple”, explique le virologue Bruno Lina, également membre du Covars.

Par ailleurs, l’OMS a déjà conclu des accords avec les principaux fabricants : ils s’engagent à lui donner l’équivalent de 10 % de leur production, à destination des pays en développement. Surtout, des transferts de technologie sont organisés sous l’égide d’un organisme associé à l’OMS, le Medicine Patent Pool (MPP) : “Nous travaillons avec des laboratoires situés dans 14 pays à revenus faibles ou intermédiaires, pour qu’ils aient la capacité de produire des vaccins à ARN messager pour leur population”, détaille Marie-Paule Kieny, aujourd’hui à la tête du MPP. Reste qu’en cas de circulation interhumaine d’un virus de grippe aviaire, nous n’échapperions pas à des mesures barrière, le temps que les vaccins arrivent.

Dans l’intervalle, nous disposerions toutefois de deux autres armes qui nous avaient tant fait défaut il y a cinq ans : des médicaments, et des tests. Côté antiviraux, l’Hexagone possède 200 millions de comprimés de Tamiflu. Un volume jugé suffisant par le Haut Conseil de la santé publique dans un rapport paru en décembre. Cette instance plaide par ailleurs pour une prolongation à vingt ans des dates de péremption de ce produit, à l’instar du choix fait par les Etats-Unis. Le Covars a par ailleurs recommandé à l’Etat de préparer des stocks d’un autre antiviral, le baloxavir. “Son efficacité semble supérieure à celle du Tamiflu, explique la Pr Autran. Notre message a été entendu : l’Europe a pris un pré-engagement d’achat auprès des fabricants.”

Des mesures insuffisantes pour freiner le virus

Les tests, eux, se trouvent déjà en cours de déploiement. “Les tests PCR utilisés en France pour le diagnostic de la grippe humaine permettent aussi de repérer des virus aviraires H5N1 similaires à ceux qui circulent aux USA”, explique Bruno Lina, qui dirige le Centre national de référence des virus respiratoires basé à Lyon. Si l’un d’eux était détecté, le réseau des laboratoires spécialisés Biotox-Piratox sera bientôt en mesure de réaliser des tests plus spécifiques, et en cas de H5N1 avéré, les deux centres de référence, à Paris et à Lyon, seraient alertés et interviendraient pour isoler le patient et limiter la transmission. “En termes de préparation, nous sommes dans une situation très favorable. Les alertes actuelles ont permis de se mettre en ordre de bataille. En espérant que nous n’en aurons pas besoin”, résume le Pr Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé global à l’université de Genève (Suisse).

C’est tout le paradoxe, avec d’un côté des préparatifs bien avancés, mais de l’autre des mesures longtemps insuffisantes aux Etats-Unis pour freiner la circulation du virus. “Ce à quoi nous assistons est assez scandaleux, avec peu de transparence et des décisions tardives de protection des élevages et de surveillance du lait cru, alors qu’on sait qu’il peut favoriser la transmission à l’humain”, déplore Marie-Paule Kieny. L’arrivée de Robert F. Kennedy Jr, antivax et fervent partisan du lait cru, à la tête du ministère de la Santé américain n’est pas pour rassurer. “Plus on laisse le virus circuler, plus il y a de risques qu’il devienne transmissible. D’ailleurs des marqueurs d’adaptation à l’homme apparaissent dès qu’il passe chez un mammifère ou un chez un humain”, relève la Pr Rameix-Welti.

Depuis les travaux controversés du virologue néerlandais Ron Fouchier, qui avait rendu un H5N1 transmissible chez les mammifères dans les années 2000, on connaît les mutations que ce microbe doit accumuler pour pouvoir circuler entre les humains. “Elles sont au minimum au nombre de cinq”, rappelle le Pr Lina. Comme autant de verrous, qui l’empêchent aujourd’hui de s’accrocher à nos cellules, de s’y multiplier, mais aussi de survivre dans l’air. “Cela fait vingt-cinq ans qu’on redoute ces modifications, et on ne les voit pas apparaître”, constate Antoine Flahault. Les virus grippaux présentent toutefois cette particularité de pouvoir à la fois évoluer au fil du temps, en acquérant les mutations les unes après les autres, mais aussi d’un seul coup, par échange de matériel génétique avec d’autres virus. Quelle direction choisira H5N1 ? Pour l’instant, la pièce est toujours en l’air.




Source

.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . %%%. . . * . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ $ - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - . . . . .