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En Corée du Sud, la fin programmée du “miracle économique” ?

Les adeptes des dramas coréens ont été servis. Entre la proclamation de la loi martiale, la colère de la rue et l’arrestation du président Yoon Suk-yeol ce mercredi 15 janvier, la politique coréenne a pris, depuis quelques semaines, une allure de feuilleton télévisé. Derrière la crise institutionnelle, l’économie a aussi subi quelques secousses courant décembre : la Bourse a tangué, le won coréen a atteint son plus bas face au dollar en près de seize ans, et l’inflation annuelle a rebondi.

A cette tempête conjoncturelle s’ajoutent les signes d’un malaise plus profond. Les prévisions de croissance ont été révisées à la baisse. Le gouvernement table désormais sur 1,8 % pour 2025, après 2,1 % en 2024, évoquant des “défis significatifs pour l’économie coréenne”. La croissance à deux chiffres, qui a longtemps porté le “miracle de la rivière Han”, semble bien lointaine.

Depuis les années 1960, le pays du Matin calme a connu une trajectoire spectaculaire. Passant du rang d’économie marginale – ravagée par la pauvreté et portant les stigmates d’une guerre dévastatrice – au cercle des dragons asiatiques, il a laissé sa voisine du Nord loin derrière. Les secrets de cette ascension ? L’ouverture à l’international, un fort investissement dans l’innovation mené par un Etat stratège, et le soutien des Etats-Unis. La crise asiatique de 1997 a ébranlé cette assise, entraînant la faillite de plusieurs fleurons coréens, mais les fondamentaux économiques sont restés solides. Le rythme du boom économique s’est modéré à mesure que la Corée se frayait une place dans le club des pays développés.

Tourné vers le monde

Pendant toutes ces années, l’exportation est restée l’alpha et l’oméga du modèle coréen. Au-delà de l’automobile et des appareils électroniques, le pays a fait triompher son soft power. Le Hallyu [NDLR : vague culturelle coréenne] a propagé à travers le monde des fiertés nationales comme la série Squid Game ou le boys band de K-pop BTS. Le succès de ce dernier est tel que sa contribution annuelle au PIB coréen avait été estimée à environ 0,3 % par le Hyundai Research Institute dans un rapport de 2018.

En Corée du Sud, la croissance se tasse.

Problème : les moteurs de la performance coréenne ont peu varié. “La Corée est désormais vulnérable dans certains domaines où elle a excellé au cours des dernières décennies. Les entreprises de semi-conducteurs n’ont pas saisi à temps l’ampleur du marché de l’intelligence artificielle”, remarque Daniel Tudor, auteur de Korea : The Impossible Country. Un secteur qui reste dominé par l’américain Nvidia. Pour autant, les géants coréens, aux aguets, sont toujours compétitifs. “La course aux semi-conducteurs est […] une guerre totale entre les nations”, martelait le président déchu Yoon Suk-yeol en avril dernier.

Pendant ce temps, la Chine gagne du terrain dans les filières de prédilection coréennes – l’acier, l’électronique ou encore la construction navale. Dans le secteur automobile aussi, la concurrence est rude : “Il y a quelques années les taxis à Pékin étaient tous des Hyundai. Aujourd’hui, ce sont des BAIC [NDLR : Beijing Automotive]”, observe Rory Green, directeur de la recherche asiatique à Global Data.

Séoul a conscience de ces défis et s’efforce de les relever. “Pour diversifier ses moteurs de croissance, la Corée s’emploie à faire de l’intelligence artificielle, des biotechnologies et de l’information quantique des ‘game changers’. Le gouvernement prévoit d’élaborer des stratégies innovantes pour promouvoir ces industries”, assure à L’Express Moon Seoung-hyun, l’ambassadeur de Corée du Sud en France.

La tentation protectionniste des Etats-Unis, récemment devenus le premier partenaire commercial du pays, est une autre source d’inquiétude. “En un sens, la Corée est similaire à l’Allemagne : être très bon à l’export est une force pour conquérir des marchés étrangers. Mais si ces marchés se ferment, cela devient un handicap”, juge Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès. Le flou politique national ne fait qu’exacerber le problème. “Si la Corée n’a pas un exécutif fort dans les mois à venir, à l’heure où l’administration Trump risque d’imposer des barrières douanières, aura-t-elle une voix suffisamment puissante pour mener les négociations commerciales avec les Etats-Unis ?”, s’interroge Françoise Huang, économiste sur l’Asie-Pacifique à Allianz Trade.

Capitalisme familial

A l’intérieur du pays, les défis sont tout aussi importants. L’économie coréenne est largement tributaire des “chaebols” – des conglomérats familiaux intimement liés au pouvoir. Des dynasties comme celle des Koo, à la tête de LG, ou encore des Lee, chez Samsung, régissent leurs empires respectifs depuis des décennies. La frontière poreuse entre le monde des affaires et celui de la politique a d’ailleurs donné lieu à quelques scandales.

Une forte exposition à l'export.
Une forte exposition à l’export.

Pour Yeo Han-koo, ancien ministre du Commerce de la Corée du Sud et expert au Peterson Institute, la mainmise de ces grands groupes est un frein au dynamisme économique. “Cette domination étouffe l’émergence de nouvelles sociétés innovantes et tue l’innovation. Il y a dix ou vingt ans, les dix plus grandes entreprises étaient presque les mêmes qu’aujourd’hui. Cela montre que le système n’est pas assez souple pour permettre aux petites entreprises de devenir les géants de demain”, regrette-t-il.

Des géants de plus en plus tentés de se renforcer à l’étranger, au détriment de l’économie locale. “La hausse des coûts en Corée et les nombreuses réglementations poussent les entreprises internationales à fuir le marché coréen et à investir aux Etats-Unis, dans l’Union européenne ou en Asie du Sud-Est”, poursuit Yeo Han-koo.

Défi démographique

Pour former ses futurs travailleurs, la Corée peut compter sur un système éducatif fondé sur l’excellence et la compétition. Mais le revers de la médaille est inquiétant : le taux de suicide y est l’un des plus élevés au monde. “Il y a une crise sociale et morale en arrière-plan de la crise politique. Le stress et la course à la performance l’expliquent pour une part certaine, résume Dominique Barjot, professeur émérite d’histoire économique contemporaine à Sorbonne Université. La croissance coréenne relève d’un dynamisme du désespoir. Son principe se résume simplement : il faut être le meilleur pour survivre.”

La défi démographique pèse sur l'avenir.
La défi démographique pèse sur l’avenir.

La question démographique devient elle aussi préoccupante. Au point de peser sur la croissance à long terme, qui pourrait tomber à 0,5 % en 2050 selon les experts du Korea Development Institute. A 0,7 enfant par femme en 2023, le taux de fécondité est le plus bas au monde. Le groupe de construction Booyoung offre quelque 100 millions de wons (70 000 euros) à ses salariés qui deviennent parents. “L’Etat coréen a longtemps négligé le levier de l’immigration pour lutter contre l’effondrement démographique, en misant sur l’augmentation des naissances. Cela n’a pas donné les résultats espérés”, remarque Rory Green, de Global Data.

En parallèle, le vieillissement de la population réduit la population active et augmente les coûts de main-d’œuvre. “Aujourd’hui, il y a davantage de personnes âgées dans les entreprises, et dans un pays très confucéen, il est obligatoire de les payer plus”, note Dominique Barjot.

Malgré ce ralentissement, la Corée ne s’avoue pas vaincue. En sus de mesures pour attirer les talents étrangers, “le gouvernement coréen met activement en œuvre des politiques visant à concilier travail et vie familiale, afin d’augmenter le taux de natalité”, affirme l’ambassadeur Moon Seoung-hyun. Il y a urgence.




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