Face à la nouvelle Amérique que sont en train de créer les deux docteurs Frankenstein Trump et Musk, dont l’un voit la carte du monde comme un hypermarché gorgé de produits appétissants et tous achetables (Groenland, Canada, Panama), pendant que l’autre veut placer en Europe les dirigeants qui lui conviennent, l’Union européenne et le Royaume-Uni se rapprochent.
Le 9 janvier, Emmanuel Macron a rendu visite à Keir Starmer. Dans cette nouvelle ère “Trusk”, cette créature accouchée des cerveaux de Trump et de Musk, le Français et le Britannique ont plus que jamais intérêt à s’entendre. Le Premier ministre, parce qu’il cherche, sans prononcer ce mot maudit de Brexit dont les effets ont plombé l’économie britannique, à renforcer un axe renaissant avec l’Union européenne, au moment où le continent est menacé par la Russie et où la “relation spéciale” avec les Etats-Unis, énoncée par Churchill en 1945, a nettement perdu de sa vigueur. Le président, parce que sa dissolution ratée et son affaiblissement politique lui donnent peu de temps pour laisser un bilan positif à l’histoire. Ses actions visionnaires et constantes pour une souveraineté de l’Union européenne et, au-delà, pour une “communauté politique” du continent, sont l’atout qu’il peut jouer. Sa mésentente avec Olaf Scholz et l’effondrement du tandem franco-allemand jouent d’autant plus en faveur du resserrement des liens entre les deux puissances nucléaires de l’Europe, France et Royaume-Uni, face à la guerre de Poutine en Ukraine.
Fakes news et algorithmes
Keir Starmer a forgé depuis peu un lien d’une autre nature en Europe : outre qu’ils sont tous deux sociaux-démocrates et précisément pour cela, Olaf Scholz et lui ont en commun d’être les cibles favorites d’Elon Musk sur son réseau social X. Le Premier ministre britannique a fait l’objet de centaines de tweets mensongers. Commencés lors des émeutes racistes d’août 2024 en Angleterre, ils accusent maintenant Starmer d’être complice du système de viol et de prostitution de jeunes filles blanches mineures par des criminels d’origine pakistanaise. C’est faux : en tant que procureur général, Keir Starmer avait joué un rôle déterminant dans la lutte contre ce phénomène, dès 2013. Mais Musk manipule contre lui ses fake news, ses algorithmes et ses 212 millions de followers transformés en miliciens qui usent de leurs retweets comme des armes de harcèlement et d’intimidation. Il a proposé de voter sur X : “L’Amérique devrait-elle libérer le peuple britannique de son gouvernement tyrannique ? Selon le Financial Times, il a consulté des complices locaux pour faire démissionner Starmer “avant les prochaines élections générales”.
Le chancelier allemand, lui, s’est fait traiter par Musk, sur X, de “fou”, d’”imbécile incompétent”, d’”idiot absolu”. S’appropriant la campagne pour les élections allemandes du 23 février, Musk se présente aux côtés d’Alice Weidel, tête de liste du parti d’extrême droite AfD, comme lui anti-immigration, anti-woke, anti-démocraties libérales, anti-Union européenne. Sur X il déclare que “seule l’AfD est capable de sauver l’Allemagne” et a mis en scène sur X sa conversation d’une heure et demie avec Weidel. Tiens, où sont passés les Brexiteurs, Frexiteurs et autres menteurs qui dénoncent l’ingérence (de Bruxelles) dans les affaires nationales ? Jamais dans le monde une personne privée n’a eu autant de puissance que n’en a Elon Musk, jamais dans le monde une personnalité au service d’un gouvernement national ne s’est ingérée comme le fait Musk dans les affaires d’Etats étrangers. Où sont les aboyeurs du “Take back control” ? Leur silence nous assourdit.
Yeux éblouis
L’Union européenne ne vaut guère mieux. Face à Trusk, et c’est l’un des principaux objectifs des Trump-Musk, elle se divise. L’Italienne Giorgia Meloni, qui sait habilement être aussi européenne à Bruxelles qu’elle est europhobe à Rome, contemple le milliardaire avec des yeux éblouis et discute avec lui d’un contrat de 1,5 milliard d’euros pour un réseau de satellite qui court-circuiterait un projet européen. Le Hongrois Viktor Orban ne jure que par son amitié avec Trump, lequel voit en lui l’inspirateur de la “démocratie illibérale” dont il rêve. Il est temps pour les Européens de se mobiliser et pour Keir Starmer de nouer la “relation spéciale” du Royaume-Uni post-Brexit avec l’UE, plutôt qu’avec une Amérique réduite à l’état de Trusk.
Marion van Renterghem est grand reporter, lauréate du prix Albert-Londres et auteure du “Piège Nord Stream” (Arènes)
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