En France, la consommation est le moteur de l’économie. Et sa fragilité. Lorsqu’un choc survient, les ménages ont pris l’habitude, au cours des dernières années, de mettre leur argent de côté. Et ils s’y tiennent. Depuis la pandémie, le taux d’épargne des Français n’a jamais retrouvé son niveau d’avant-crise. Au troisième trimestre 2024, il atteignait 18,2 % du revenu brut disponible, soit près de quatre points de plus qu’en 2019.
Après le Covid-19, la guerre en Ukraine, la hausse des coûts de l’énergie et la poussée inflationniste n’ont pas incité les consommateurs à la dépense. Avec des conséquences très concrètes dans les comptes de l’Etat français : lorsque les achats de biens et de services diminuent, les rentrées fiscales plongent, contribuant, comme en 2023, au dérapage du déficit public. Pour autant, cette manne financière a son son utilité, pour financer des investissements, notamment dans le logement social via le Livret A.
Plusieurs objectifs
Reste que le taux d’épargne affiche aujourd’hui un niveau excessif. Pour le réduire, les leviers d’action sont limités. Ce mercredi 15 janvier, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, a profité de son audition devant la Commission des finances du Sénat pour annoncer qu’il allait proposer à Eric Lombard de baisser le taux du livret A de 3 % à 2,4 % à compter du 1er février. Une première depuis 2020. Une recommandation suivie d’effet puisque le locataire de Bercy a confirmé cette baisse au 1er février prochain.
“Cet ajustement est logique au vu du mode de calcul existant qui prend en compte l’inflation et les taux des marchés monétaires”, explique l’économiste Philippe Crevel, spécialiste des questions d’épargne. Or, ces deux données régressent depuis quelques mois. En décembre, la hausse des prix à la consommation avait ralenti à 1,3 % sur un an, contre 5,2 % en 2022. Réduire le taux du livret permet de servir plusieurs objectifs. Cela vise d’abord à soutenir le secteur de la construction et les bailleurs sociaux car les prêts qu’ils souscrivent auprès de la Caisse des dépôts – qui gère le placement préféré des Français – sont indexés sur le taux du Livret A.
En procédant à cette baisse, Bercy espère aussi favoriser la consommation en décourageant les ménages de placer une partie leur argent à ce taux moins attrayant. “Cela peut jouer. Si l’on veut désépargner, il n’y a pas d’autres choix que de rendre moins intéressants les produits disponibles”, admet l’économiste Pascale Hébel, directrice associée au sein du cabinet de conseil C-Ways. Pour Philippe Crevel, ce mouvement pourrait se traduire par “une moindre collecte au cours des premiers mois”. Au ministère de l’Economie, on risque toutefois de ne pas savoir sur quel pied danser. “L’Etat peut avoir des objectifs contradictoires, ajoute l’économiste. La direction du Trésor aime avoir de l’épargne, tandis que celle du budget préfère lorsqu’il y a plus de TVA.” A fortiori dans un contexte de dégradation de nos finances publiques.
La confiance des ménages diminue
Reste que la consommation ne pourra pas repartir tant que la confiance des ménages sera aussi basse. En décembre, l’indicateur de référence de l’Insee perdait encore un point par rapport au mois précédent. “L’incertitude politique pèse fortement, notamment en raison du flou entourant les orientations fiscales. De plus, la communication alarmante sur les faillites n’est pas favorable. Il faudrait à la fois garantir une stabilité politique, réduire les impôts et dissiper les craintes d’une éventuelle crise financière”, avance Philippe Crevel.
Sur ce point, la différence avec les Etats-Unis est criante. “Les Américains ont une vision beaucoup plus utilitaire de l’épargne. Quand leur pouvoir d’achat augmente ou qu’ils ont une rentrée d’argent, ils vont consommer. A l’inverse, les Européens et les Français vont mettre de côté”, illustre l’expert. L’impact des premières décisions de Donald Trump sur le comportement des consommateurs outre-Atlantique sera intéressante à suivre. En France, une nouvelle censure du gouvernement Bayrou, qui n’est pas à exclure, effacerait à coup sûr tout espoir d’un rebond de la croissance.
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