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Ils sont fous, ces Français : Gilles Martin-Chauffier réinvente les “Lettres persanes”


On s’amusait bien à Paris sous la Régence, et ce n’est pas Mehmed Efendi qui nous contredira. En 1721, après avoir passé deux ans dans notre capitale comme ambassadeur, le janissaire retourne dans l’Empire ottoman et y publie un récit de ce qu’il a vu – un livre qui sera plus tard traduit chez nous sous le titre Le Paradis des infidèles. En cette même année 1721, le jeune Montesquieu, 32 ans, lui renvoie la balle avec ses célèbres Lettres persanes. On en connaît la trame : deux Perses voyageant à travers l’Europe jusqu’à Paris, Usbek et Rica, racontent par écrit leurs aventures à leurs amis restés là-bas. Cette “espèce de roman” (comme disait Montesquieu) reprend l’esprit caustique des Caractères de La Bruyère (parus en 1688) tout en inventant une nouvelle forme. Il faut croire que tout le monde n’avait pas perçu l’esprit polémique du livre puisque dès 1728 le taquin Montesquieu sera élu à l’Académie française…

Trois siècles après, ce classique reste lu. Il vient d’être réédité dans la collection Bouquins. De façon plus originale, avec son habituel esprit, Gilles Martin-Chauffier en publie une variation moderne, Les Lettres qataries. Le narrateur en est Hassan, un jeune et ambitieux conseiller d’ambassade, sorte de Paul Morand de Doha, qui raconte sa mission parisienne à son frère Driss. L’action couvre la période 2023-2024. Notre pays est-il toujours paradisiaque pour les infidèles ? Si un certain puritanisme y a étendu son empire, quelques élucubrations perdurent – il faut voir Hassan découvrant la fashion week (chapitre tordant au cours duquel Martin-Chauffier égale Loïc Prigent). Entre une corrida à Dax et un match de foot au Parc de Princes, le diplomate séduit une aristocrate snobissime, Caroline, qui travaille dans une agence de relations publiques. Elle le met au parfum, lui fait rencontrer du monde et voir du pays. Hassan a parfois l’impression d’être dans un de nos “fameux salons du XVIIIe (le siècle, pas l’arrondissement)”.

Dans l’un des chapitres les plus réussis, sa compagne l’invite à passer les fêtes de fin d’année dans le chalet savoyard de ses parents. Le 31 décembre, déjà obligé de boire du champagne, le malheureux est en plus forcé de regarder les vœux de “Sa Majesté Macron Ier” – “encore une fantaisie locale”. S’il ne raffole pas de Macron (qualifié tour à tour de “pipelette” et de “roi asexué”), l’acide Hassan est encore plus dur avec Sandrine Rousseau (une “bouffonne”). Il n’a pas encore vu Jean-Luc Mélenchon : “Partout ailleurs dans le monde, il y a longtemps qu’on l’aurait remisé au magasin des accessoires.” Notre Danton de pacotille lui inspire ce juste constat : “La France reste la France : une grande dame qui a ses œuvres et ses pauvres. Rien de plus. Quand elle finit par élire un homme de gauche, un Blum ou un Mitterrand, c’est toujours un grand bourgeois qui s’enroule dans ses écharpes de cachemire pour aller s’offrir des premières éditions. Tout valse et rien ne change. Le grand soir n’arrive jamais.” Une seule personnalité politique échappe à ses piques : Rachida Dati, “la Wonder Woman musulmane”…

“Déesse Laïcité”

On peut lire Les Lettres qataries comme un livre de divertissement, à la manière des Carnets du major Thompson qu’écrivait jadis Pierre Daninos. Mais le ton vachard en est plus cruel – dans ses meilleurs moments, Martin-Chauffier ferait passer Patrick Besson pour Baptiste Beaulieu. Surtout, il met son grain de sel sur des sujets brûlants comme l’immigration, les caricatures ou la “déesse Laïcité”. Sur un mode plus léger, nos finances publiques sont pour Hassan un mystère insondable. Nous avons “la dette dans les nuages”. Et l’érudit Hassan de citer Oscar Wilde : “C’est bien ennuyeux de n’avoir pas d’argent, s’il fallait en plus s’en passer !” Puis d’enchaîner : “Cela dit, ici, s’abstraire du principe de réalité ne choque personne. C’est même l’inverse. Les Gaulois irréductibles doivent leur survie pure et simple à l’Europe mais ils ne cessent de l’agresser.”

Même sur un sujet aussi rebattu que la cérémonie d’ouverture des derniers Jeux olympiques, Martin-Chauffier parvient à trouver le bon ton. Pour éviter les rabâchages des plateaux de télévision, faut-il en revenir à la littérature, au style et au décalage que permet la fiction ? On souhaite à cette brillante sotie d’avoir un succès comparable à celui que Patrick Rambaud avait connu avec ses Chroniques du règne de Nicolas Ier. Rions encore un peu avant que le ciel ne nous tombe définitivement sur la tête.

Les Lettres qataries. Par Gilles Martin-Chauffier. Albin Michel, 220 p., 19,90 €.




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