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“La France a perdu tant d’occasions de se réformer” : quand le Medef suédois livre ses conseils


L’instabilité politique mine la croissance, le rétablissement des finances publiques est de plus en plus hypothétique et le fameux “spread”, l’écart de taux d’intérêt entre la France et l’Allemagne, ne cesse de s’élargir, signe d’une inquiétude croissante des investisseurs sur la situation hexagonale. Comment sortir de l’impasse ? En Europe, un pays au bord du précipice en 1992 a réussi, la Suède, qui affiche aujourd’hui des comptes publics au carré, une croissance solide et un taux de chômage bas. La méthode ? Un cocktail de mesures radicales prises grâce à un consensus politique, obtenu après des mois de discussions. Anna Stellinger, directrice des affaires européennes et internationales du patronat suédois, livre les secrets de la méthode. Reste à savoir si la France est suffisamment mûre politiquement pour entamer une telle révolution…

L’Express : La France est confrontée à un sérieux problème de finances publiques. La Suède est passée par là aussi, en 1992, ce qui a débouché sur une crise financière gravissime. Faut-il être au fond du gouffre pour rebondir ?

Anna Stellinger : Plusieurs ingrédients expliquent la remise à plat du système suédois à cette époque. Le premier est, comme vous le rappelez, la gravité de la crise financière qui a frappé le pays au début des années 1990. Au pire moment des attaques spéculatives contre la Suède et sa monnaie, les taux d’intérêt sont montés à 500 % ! Cela veut dire que tout le monde était touché. Cette crise n’était pas seulement intellectuelle et hypothétique, elle était visible par tous les Suédois dans leur quotidien, quand ils allaient à la banque pour négocier un crédit immobilier ou acheter une voiture. Résultat : lorsque les politiques ont commencé à pointer les racines du mal, et à dire pourquoi il fallait changer les choses, ils n’ont pas eu à convaincre très longtemps puisque tout le monde subissait au plus près cette crise. Le deuxième élément déterminant a été le consensus politique et la volonté de faire des réformes dans la durée. Aujourd’hui, plus de trente ans après cette crise profonde, la dette publique atteint tout juste 32 % du PIB du pays.

Justement, par où a-t-il fallu commencer ?

Par le volet politique : l’obtention d’un consensus total avec toutes les forces politiques sur la nécessité de changer de modèle. Deuxième étape : se mettre d’accord sur le “quoi faire”. Et le “quoi faire” n’a pas été un maquillage budgétaire pour récolter quelques milliards ici ou là. Nous sommes allés au fond des choses avec une décision majeure qui est l’adoption d’une discipline budgétaire. Désormais, nous sommes obligés d’avoir un budget en équilibre et on ne peut proposer des dépenses nouvelles sans trouver les recettes qui permettent de les financer. Aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur, n’a depuis des décennies le droit de creuser un déficit ni d’alourdir la dette. Cette règle d’or apporte de la sécurité. Car lorsque le pays traverse un choc conjoncturel, comme au moment du Covid, il a les moyens de soutenir l’économie et les plus fragiles. Nous ne nous sommes pas arrêtés là. Nous avons aussi basculé le système de retraite d’un régime par répartition vers un système par capitalisation. Chacun est désormais responsable de sa propre retraite et cotise pour sa propre pension. Enfin, nous avons fait le tri dans les dépenses publiques. Chaque ligne a été étudiée. Ce nettoyage a été effectué de manière sérieuse et presque toujours consensuelle. Avec, à chaque fois, l’objectif de changer les choses de manière robuste.

En France, ce travail sur la dépense publique fait craindre à une partie de l’opinion publique un détricotage, un démantèlement de l’Etat providence…

Je peux le comprendre mais la manière dont la Suède a géré cette transformation profonde et durable a été faite dans le respect de ce cadre-là. Peu de gens disent aujourd’hui que la Suède n’est pas un Etat providence. Nous voulons être un pays attractif mais avec une économie saine.

Quelle a été l’ampleur des sacrifices ? Et surtout, ont-ils été justement répartis ?

Tout le monde a dû se serrer la ceinture. Les entreprises, les ménages, les salariés, les retraités…

Vous ne parlez pas de réforme de l’Etat. Mais là aussi, le modèle suédois est très différent de celui de la France…

En France, je lis souvent qu’on parle d’un Etat obèse. En Suède, l’ambition a été de l’alléger. Le gouvernement est tout petit. Si je cumule les postes de tous les ministères, nous devons arriver à moins de 5 000 fonctionnaires ! Le reste des agents de l’Etat travaille dans des agences gouvernementales, qui par ailleurs sont jugées parfois trop nombreuses et coûteuses par certains partis politiques. J’en ai dirigé deux personnellement. Ces agences sont dotées d‘un budget alloué chaque année par le gouvernement central. Impossible d’afficher des comptes déséquilibrés. Leurs comptes sont audités chaque année et si un surplus budgétaire apparaît, une agence ne peut pas garder plus de 3 % de cet excédent dans ses caisses. Par ailleurs, le gouvernement fixe dans une lettre de mission les objectifs, mais laisse une totale indépendance sur les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Les directeurs d’agence sont autonomes. Ce qui compte, c’est le résultat. Cette autonomie permet de dépolitiser l’action publique. Enfin, les agents sont des salariés – il n’y a pas de contrat à vie en Suède – et leur rémunération est liée à leurs performances.

Comment expliquez-vous l’impossibilité de réformer la France ?

Les raisons sont multiples. La première, et peut-être la plus importante, c’est qu’en France, la dette n’est pas suffisamment prise au sérieux. L’endettement public a crû depuis des décennies et le sujet s’est presque banalisé dans l’opinion publique. C’est comme si les Français, dans leur grande majorité, pensaient que “parce que c’est la France”, une crise de la dette ne les rattrapera jamais.

La deuxième explication est presque culturelle. C’est l’incapacité à obtenir un consensus politique, même si la confrontation politique n’est pas une mauvaise chose en soi, et parfois en Suède, nous n’avons pas suffisamment de débats majeurs. Troisième point, l’absence de syndicats forts et une culture assez faible du dialogue social. Nous avons des partenaires sociaux extrêmement responsables, avec un très haut niveau de syndicalisation. Le patronat respecte réellement les syndicats de salariés, et inversement. Les représentants de salariés sont invités dans les conseils d’administration, ils sont écoutés. Ce sont des organisations de service, ce qui explique notre taux de syndicalisation très élevé.

Cette qualité du dialogue social joue beaucoup sur les négociations salariales. Lorsque les salaires sont négociés chaque année, le référentiel est celui de l’industrie exportatrice. C’est ce que nous appelons “la marque”. Le but est de conserver la compétitivité du pays, et les organisations syndicales et patronales adhèrent, avec quelques exceptions, à cette norme.

Quatrième et dernière explication, la France n’a pas la culture de la “flexisécurité” de l’emploi, même si je n’aime pas trop ce terme. En clair, ce qui compte en Suède, ce sont les individus, pas les emplois. Quand il a fallu fermer les mines il y a quelques décennies, nous l’avons fait sans drame car la priorité de tous les acteurs était de s’occuper de ceux qui perdaient leur job. Quand une entreprise disparaît, pour manque de compétitivité, nous n’essayons pas coûte que coûte de la maintenir en vie. Ce sont quatre ingrédients essentiels à la réforme qui manquent, hélas, à la France.

Votre constat est très pessimiste…

Oui et non. La France a perdu tant d’occasions de réformes au cours des années passées… Or le pays a de formidables atouts. Il sait se mobiliser pour de très grandes choses. La France reste la nation la plus attractive d’Europe en matière d’investissements étrangers. S’ajoute l’excellence de la recherche, dans l’intelligence artificielle notamment… La France a tellement de cartes en main ! Cela fait si longtemps que le pays n’a pas mené de réformes que vous avez peut-être oublié comment les mettre en œuvre.

L’Europe paraît assez divisée sur un sujet majeur, celui de l’accord commercial avec les pays du Mercosur signé par la Commission européenne le 6 décembre. Comprenez-vous le refus catégorique de la France ?

C’est irrationnel ! 50 % de notre richesse en Europe vient du commerce extérieur, contre 25 % aux Etats-Unis. Nous sommes très dépendants de notre ouverture au monde. Historiquement, cette ouverture nous a beaucoup apporté. L’Europe a aujourd’hui une quarantaine d’accords commerciaux avec près de 70 pays dans le monde, et c’est une excellente chose. Avec les pays du Mercosur, les négociations durent depuis plus de vingt ans. Ces pays sont très importants pour nous, avec un potentiel encore plus grand.

Nous savons déjà, avec le retour de Trump, que les relations avec l’Amérique seront plus compliquées à l’avenir. C’est la même chose avec la Chine. Nous avons donc un besoin absolu de diversifier et de renforcer notre commerce avec d’autres zones géographiques. Et puis, nous avons aussi besoin des matières premières que le Mercosur produit. L’autonomie stratégique, ce n’est pas le repli sur soi. C’est, en réalité, davantage de flexibilité, d’agilité. Sans pour autant être “naïf”, ce que nous entendons souvent dans la bouche de ceux qui souhaiteraient une Europe plus protectrice. Vouloir davantage de liens économiques avec d’autres pays autour du monde ne relève pas de naïveté, c’est la recette de la réussite depuis bien des décennies. En Suède, les syndicats sont également favorables aux accords commerciaux puisqu’ils voient leur apport à une économie plus forte. Sans une économie performante, nous ne pouvons pas maintenir un Etat providence fort.

Redoutez-vous une guerre commerciale ?

Je n’utiliserai pas ce mot. La guerre, c’est bien autre chose ! Parlons plutôt de conflit commercial. En même temps, le commerce international reste en croissance. La mondialisation n’est pas morte. Et les échanges continuent d’augmenter, notamment en Asie. Le retour de Trump à la Maison-Blanche complique bien évidemment les choses. On le dit souvent inconstant, émotionnel. En réalité, depuis 2017, il a toujours fait ce qu’il disait dans le domaine du commerce extérieur. Il faut donc le prendre très au sérieux et affronter son plan d’augmentation des droits de douane.

Comment l’Europe doit-elle répondre ?

Il faut surtout garder la tête froide. Nous pouvons, comme la dernière fois en 2017, avoir des réponses ciblées, en imposant des taxes sur des produits très spécifiques, comme le bourbon ou les Harley-Davidson… Trump n’aime malheureusement pas le multilatéralisme. Mais ce qu’il aime, c’est la négociation. N’oubliez jamais que c’est un “deal maker”. Donc, il faut négocier… L’Europe a les moyens de se faire entendre. A une condition, rester unie. Je trouve que nous manquons parfois de confiance en nous. Il faut que l’Europe construise son propre chemin, et qu’elle ne se limite pas à réagir face à l’Amérique ou à la Chine.

Parmi les solutions proposées par l’ancien Premier ministre italien Mario Draghi pour contrecarrer la perte de compétitivité de l’Europe, il y a l’idée d’un nouveau grand emprunt en commun. Y êtes-vous favorable ?

Le rapport Draghi a été bien reçu dans tous les pays européens. Son analyse est très juste mais son ton pessimiste et noir passe moins bien en Suède et dans la plupart des pays scandinaves. Reconnaissons-le : en matière de compétitivité, tous les pays européens ne sont pas dans la même situation. Sur les multiples solutions proposées, tout le monde a retenu les 800 milliards d’euros annuels d’investissements. Avant de parler d’un nouveau grand emprunt, dressons d’abord le bilan du précédent grand plan de relance de 750 milliards d’euros. L’argent a-t-il été bien utilisé ? Par ailleurs, quand on parle d’investissements supplémentaires, est-ce de l’argent privé ou public ? Je pense que l’essentiel des dépenses doit venir du secteur privé. Trop de pays européens sont endettés, et le goût pour la dette est limité chez les autres. Dans ce cadre, l’union des marchés de capitaux est impérative pour aider à lever les fonds nécessaires. Voilà l’une des nombreuses recettes.




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