Il fallait que les armes se taisent, dimanche 19 janvier, à la faveur d’un cessez-le-feu fragile avec Israël, pour que les combattants du Hamas réapparaissent au grand jour. Après 15 mois de guerre, les voilà qui déambulent fièrement dans les rues détruites de Gaza. “Ils ont subi le bombardement le plus violent qu’une organisation comme celle-ci puisse jamais subir, mais ils sont toujours là et continuent de recruter”, constate de fait auprès de l’AFP Yossi Mekelberg, expert du Moyen-Orient au think-tank britannique Chatham House. Même le quotidien anglophone Times of Israel doit admettre que le “groupe terroriste est aux commandes” et qu’il a d’ailleurs commencé à “freiner les pillages et à rétablir les services de base”.
Coiffés de leur bandeau vert emblématique, les combattants cagoulés du mouvement islamiste palestinien ont accompagné le week-end dernier la libération des trois otages israéliennes, au milieu d’une foule compacte et désordonnée. Le lendemain, c’est le vice-ministre de l’Intérieur dans le gouvernement Hamas, Mahmoud Abou Watfa, qui se déplaçait dans Gaza-Ville, saluant “un moment de victoire pour la vie et l’humanité” et rendant hommage à “ceux qui se sont sacrifiés et ont soutenu la résistance” face à Israël. Simultanément, en vertu de la première phase de l’accord de trêve, les forces israéliennes se retiraient des zones les plus densément peuplées du territoire palestinien où le Hamas a pris le pouvoir en 2007.
Alors que Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien, s’était engagé à “détruire” le groupe palestinien à la suite de son attaque du 7 octobre 2023 contre Israël, sa cible bouge toujours. “Quand on se fixe comme objectif l’élimination complète (d’une organisation), si un seul homme reste debout, cela peut être considéré comme un échec”, tranche Yossi Mekelberg. D’autant que l’organisation fondée en 1987 veut désormais faire savoir qu’elle règne en maître à Gaza, affichant ses nouvelles ambitions. “Nous travaillons selon un plan d’urgence”, a assuré Ismail al-Thawabta, porte-parole du gouvernement contrôlé par le Hamas à Gaza, dont les propos sont repris dans le Financial Times. L’organisation a ajouté que des réunions étaient prévues pour rétablir l’éducation, rouvrir les mosquées aux prières et améliorer les services de santé dans les hôpitaux qui ont été bombardés à plusieurs reprises.
“Une gifle pour le gouvernement et l’armée israéliens”
Bien qu’on devine une entreprise de communication, “la présence armée du Hamas sur le terrain est une gifle pour le gouvernement et l’armée israéliens”, a réagi dans les colonnes du Wall Street Journal Gershon Baskin, ex-négociateur israélien en matière d’otages et aujourd’hui directeur pour le Moyen-Orient du groupe de défense diplomatique de l’Organisation des communautés internationales. De son côté, Muhammad Shehada, du Conseil européen des relations internationales (ECFR), relève qu’Israël a clairement ciblé fonctionnaires, policiers et ministres depuis octobre 2023, espérant démanteler aussi le potentiel politique du Hamas. La présence de ses combattants dans les rues “constitue un symbole de défiance, témoignant qu’ils demeurent opérationnels”, analyse à l’AFP cet expert palestinien.
Mais si les membres du Hamas font de la résistance, c’est qu’ils viennent également remplir un vide de gouvernance abyssal, puisque personne n’a cherché à les remplacer en tant qu’entité dirigeante dans la bande de Gaza. En effet, Benyamin Netanyahou n’a cessé de marteler que l’Autorité palestinienne, basée à Ramallah, n’aurait aucun rôle, décrédibilisant l’institution de Mahmoud Abbas. “Israël n’a pas été capable de détruire le groupe ni de donner le pouvoir à une alternative”, tance donc le Wall Street Journal. Et qu’en pensent les Gazaouis ? Alors que certains jugent que le Hamas a fourni à Israël un prétexte pour détruire Gaza, ils “ressentent également un sentiment de fierté” que la branche armée du groupe, les Brigades Ezzedine al-Qassam, “ait défié la puissance d’Israël”, fait valoir Muhammad Shehada.
D’autant que la férocité de l’offensive israélienne et la destruction de Gaza devraient attirer de nouveaux membres dans le groupe. Le secrétaire d’État américain sortant Antony Blinken a annoncé la semaine dernière que l’Amérique pensait que le Hamas avait recruté à peu près autant de militants qu’il en avait perdus (soit 17 000 environ). Mais ces nouveaux venus n’ont pas été formés et ne sont pas encore rodés à l’exercice militaire. De quoi laisser penser que le Hamas a tout de même perdu de sa puissance de frappe. Au total, le ministère de la Santé du Hamas estime le bilan du conflit à au moins de 47 100 morts, en majorité des civils, des chiffres jugés fiables par l’ONU. Et nul ne connaît encore les contours de l’après-guerre à Gaza.
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