Il enchaîne les 20 heures comme le ferait un ministre de l’Intérieur. Gérard Darmanin n’est plus à Beauvau mais toujours à la télévision, sur TF1 lundi soir pour la deuxième fois depuis sa nomination comme garde des Sceaux. La Justice, son aridité, sa moindre exposition, pourrait être un piège pour qui aime les projecteurs ? “C’est là qu’on va voir qu’il n’est pas comme les autres, parie un ami. Il joue au tennis, il n’y a pas de cordage à sa raquette mais la balle part quand même.”
En tirant sa révérence, l’éphémère Didier Migaud lui lance lors de la cérémonie de passation des pouvoirs : “Etre garde des Sceaux, et vous vous en rendrez compte rapidement par vous-même, M. le ministre d’Etat […], c’est aussi ne pas pouvoir s’exprimer publiquement dans un grand nombre de cas, contrairement à d’autres membres du gouvernement qui, plus éloignés de la justice, peuvent s’y sentir davantage autorisés. Et donc garder pour soi ses opinions, ses réactions, ses émotions car la neutralité, l’impartialité, l’indépendance de la justice doivent primer par-dessus tout.”
Dans la même veine, un autre de ses prédécesseurs place Vendôme, Jean-Jacques Urvoas, pointe dans une tribune publiée par le Télégramme de Brest le 30 décembre 2024 “les paradoxes du garde des Sceaux” : “L’indépendance de la Justice à l’égard de tous les pouvoirs est indispensable. Mais cela prive le ministre de toute capacité réelle de conduire une politique pénale. Hélas, la facilité à laquelle pousse la médiatisation de la vie publique conduit parfois les titulaires de la fonction à se faire les chantres d’une “tolérance zéro” illustrée par une “réponse pénale ferme et immédiate”, les plus audacieux ne rechignant pas à promouvoir une “justice aussi rapide qu’efficace”. De telles proclamations se heurteront à la dureté du droit et n’aboutiront, au final, qu’à discréditer un peu plus la parole politique.” Et de conclure par un conseil : “Qu’il accepte donc de se comporter comme un jardinier et de planter des graines, dont seuls ses successeurs verront les arbres et récolteront les fruits. Son ego peut en être affecté mais l’intérêt général y gagnera.”
Changement de dimension
N’est pas né celui qui condamnera Gérald Darmanin au silence. N’existe pas dans un gouvernement le portefeuille qui le condamnera à la discrétion. La place Vendôme ne ressemble pourtant pas à la place Beauvau. Ici, après 18 heures, comme le remarque en souriant un proche de Gérald Darmanin, “c’est chauffé mais c’est calme”. Le nouveau ministre s’est vu doter d’un portable, il a pensé qu’il était cassé : en fait, personne ne l’appelait.
Passer de l’Intérieur à la Justice (comme François Mitterrand avant lui, et aussi Michèle Alliot-Marie), c’est changer de dimension. En l’occurrence, passer d’un grand ministère, en termes d’effectifs et de budget, à un petit. On comprend que perdre de l’importance et du poids n’est pas exactement l’objectif de Gérald Darmanin. D’ailleurs il a commencé par obtenir le titre de ministre d’Etat que François Bayrou voulait d’abord donner aux seuls anciens Premiers ministres Manuel Valls et Elisabeth Borne. Il adapte ensuite sa stratégie et fait contre mauvaise fortune bon cœur : il parlera désormais quand il a envie et en dehors de l’émotion d’un fait divers, tentera de maîtriser son agenda puisque l’actualité le lui dictera moins, lancera des débats, par exemple sur l’imprescriptibilité.
Un ministre pour réussir, a l’habitude de dire le Nordiste, a besoin de temps, d’argent et d’un Parlement capable de voter des textes. Il n’a rien de cela donc il essaiera autrement. Avec des étendards, comme cette prison de haute sécurité dans laquelle il veut regrouper les 100 narcotrafiquants les plus dangereux. “Autant, sur l’organisation de la justice au sens large et sur l’application des peines, il est impossible d’avoir une parole performative, autant c’est possible sur l’organisation des prisons, avance un proche. Avec cette idée, il entend montrer qu’il y a un avant et un après.” Comme le maire qu’il a été, Gérald Darmanin veut faire de ce projet “un appartement témoin”. “Un des problèmes de Didier Migaud était une sorte d’invisibilité du Garde des sceaux, note un cadre EPR qui le connaît bien. Darmanin, lui, sait s’emparer de son périmètre et le faire savoir, à ceux qui sont placés sous sa tutelle, malgré l’indépendance de la magistrature, et aux Français. Il a cette capacité à faire des coups.”
Il lui faut désormais slalomer. A son arrivée, il annonce haut et fort le 6 janvier qu’une circulaire sur la politique pénale sera envoyée aux procureurs avant le dimanche 12. Et puis rien. Il n’aime pas la première version du texte, veut la simplifier, la clarifier et même l’écrire “en français” : il la réduit à quatre pages, dégage deux priorités, pas plus – la lutte contre le narcotrafic et les violences faites aux personnes – et la présente deux semaines plus tard, ce lundi 27. La Chancellerie est une maison complexe et il en découvre tous les jours. A un directeur de prison qui lui a assuré que le portable ne passait pas dans son établissement, il réussit… à envoyer un SMS comme si aucun brouillage n’existait.
Après le ski, le vélo. En bon cycliste qu’il n’est pas, il connaît l’intérêt de se mettre dans la roue du leader. Aujourd’hui, c’est Bruno Retailleau qui attire la lumière. Puisque le duo bénéficie de l’intérêt de l’opinion, autant le cultiver. Après leur dîner dimanche, la photo commune en Une du Parisien lundi, les deux hommes effectueront un déplacement commun dans les prochaines semaines. La lumière peut se partager.
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