New York, 1961. Bob Dylan est encore un parfait inconnu. James Mangold, le réalisateur du film du même nom – qui sort en salles ce mercredi 29 janvier – invite le spectateur à plonger dans les années où le personnage s’affirme en tant qu’artiste. Veste en cuir, lunette de soleil et tignasse en bataille, Bob Dylan, interprété par Timothée Chalamet, a l’aspect nonchalant et le regard tourmenté. On le suit dans ses relations avec les artistes de son temps Woody Guthrie, Pete Seeger, Joan Baez… et au fil des questions qui remuent l’Amérique des sixties. L’univers se développe au rythme des titres les plus connus de l’artiste. Au-delà de l’homme qui est mis en avant, c’est toute une époque qui est dépeinte. “Les gens aiment voir au cinéma des histoires qu’ils connaissent, explique Caroline San Martin, maîtresse de conférences en cinéma à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne et co-directrice du département Analyse et cultures cinématographiques à la Fémis. Le biopic permet de redécouvrir la vie d’un personnage connu et d’en dévoiler des éléments de sa vie privée.”
Un public au rendez-vous
Si le genre n’est pas nouveau – le réalisateur français George Méliès diffuse dès 1899 un film biographique sur Cléopâtre, le genre connaît un tournant au début des années 2000 avec la sortie du film La Môme (2007) d’Olivier Dahan. Ce biopic sur la vie d’Edith Piaf, interprétée par Marion Cotillard, connait un succès tant en France, avec 5,3 millions d’entrées, qu’à l’étranger, avec 6,1 millions d’entrées. Côté recettes, le film engendre 32,9 millions d’euros dans le monde, d’après des chiffres Unifrance. En France, à partir de cette date, “la production de films biographiques devient régulière, et ce au rythme de 2 titres par an en moyenne”, constate l’organisme chargé de suivre l’évolution des œuvres françaises à l’international.
Plus récemment, Oppenheimer, de Christopher Nolan, et Napoléon, de Ridley Scott, ont cumulé respectivement 4,46 millions d’entrées et 1,60 millions d’entrées dans les salles françaises, d’après le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Le biopic sur le père de la bombe nucléaire a rapporté plus de 975 millions de dollars de recettes dans le monde, plus de 221 millions de dollars pour celui de l’empereur français, d’après Mojo, une plateforme permettant de comptabiliser le box-office des longs-métrages.
L’abondance des films biographiques s’explique donc aussi par une logique économique. Réaliser des films demande de “faire des paris” et de “savoir ce qui va plaire aux spectateurs, rappelle Caroline San Martin. Ce qui est intéressant avec les biopics c’est que le pari est facilement rentabilisé. Quand le personnage dont on adapte la vie est populaire, on sait qu’un certain public est déjà intéressé pour voir le film.”
Mais il n’existe pas de recettes miracles, et certains films biographiques ne rencontrent pas le succès attendu. En 2014, Olivier Dahan, le réalisateur de La Môme, propose au public un film sur Grace de Monaco. Malgré la figure populaire du personnage interprété par Nicole Kidman, le film réalise moins de 300 000 entrées dans l’Hexagone (Unifrance), contre 5,3 millions pour La Môme.
Des questions éthiques
Un des éléments communs à tous les biopics, c’est l’envie des spectateurs de découvrir, à travers ces films, les évènements privés d’un personnage public qui permettraient de mieux le comprendre. Mais “il y a une tendance dans le biopic à révéler des éléments qui n’ont pas besoin de l’être. Le genre a parfois un côté racoleur”, regrette la chercheuse. Cette façon de raconter une histoire peut alimenter une seule facette d’un personnage, sans nuances. Caroline San Martin souligne une certaine difficulté éthique à la réalisation des biopics : “Le genre biographique peut apporter de la confusion, lorsqu’il y a une volonté de mélanger le réel et la fiction.”
La chercheuse appelle à la mise en place de garde-fous et met en avant l’ingéniosité de certains films biographiques, comme celui de Todd Haynes sur Bob Dylan, I’m not there (2007), ou encore Séraphine (2008) de Martin Provost, qui questionnent l’œuvre des personnages plutôt que de mettre en avant “les histoires de coucheries” qui auraient permis aux artistes de créer. Dans Un parfait inconnu, James Mangold semble avoir trouvé le juste milieu.
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