Mais où va Friedrich Merz ? Les Allemands se posent ardemment la question depuis que le possible futur chancelier allemand a rompu le cordon sanitaire le 29 janvier en faisant passer une résolution sur la politique migratoire avec l’aide du parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne). “Je ne regarde ni à gauche ni à droite. Je regarde devant moi”, s’est-il justifié pour expliquer son revirement.
Jamais dans l’histoire du parlementarisme allemand d’après-guerre, un parti démocratique avait sciemment accepté le soutien de l’extrême droite, le jour même où l’assemblée fédérale (Bundestag) rendait hommage aux victimes du nazisme dans l’hémicycle. A la suite de ce séisme politique, plusieurs survivants de l’Holocauste ont décidé de rendre leurs décorations.
Pourquoi maintenant ? A trois semaines des élections ? Alors qu’il avait promis de respecter le “consensus démocratique”, Friedrich Merz a changé son fusil d’épaule pour freiner l’érosion de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) dans les sondages. “Un coup de poker très risqué”, estime Ursula Münch, directrice de l’Académie de science politique de Tutzing.
D’autant que la manœuvre ne lui a pas servi pour l’instant. Au contraire, elle a permis à l’AfD de vivre, le 29 janvier, un véritable triomphe à l’assemblée. “Vous avez copié notre programme”, l’a tancé Alice Weidel, la présidente de l’AfD, qui a toujours souhaité un gouvernement d’union des droites. “Le soi-disant cordon sanitaire, qui n’est rien d’autre qu’un cartel antidémocratique visant à neutraliser la volonté des électeurs, est mort”, a-t-elle ajouté.
Merz isolé
Risqué, en effet. Merz paraît déjà isolé dans sa tentative de virage populiste. Les églises chrétiennes, mais aussi de grands entrepreneurs, comme le grand patron d’Infineon Jochen Hanebeck, ont condamné son rapprochement avec l’extrême droite. Contrôle hermétique des frontières, déchéance de nationalité, rétention des expulsables et renforcement des pouvoirs de la police… le programme de Merz ressemble désormais à celui de l’extrême droite. “Il s’inscrit dans la lignée de Giorgia Meloni en Italie et de Viktor Orbán en Hongrie”, regrette Frank Baasner, codirecteur du Forum pour l’avenir franco-allemand. “Il se prend un peu pour Trump en ce moment”, ajoute-t-il.
Merz est pourtant profondément européen, comme l’a confirmé son discours de politique étrangère à la fondation Körber à Berlin, le 23 janvier. “Il y a un immense fossé entre ses convictions sur l’Europe et ses prises de position sur l’immigration”, poursuit Frank Baasner, qui se veut rassurant sur l’avenir : “Nous sommes en pleine campagne électorale”, tempère-t-il.
Fronde anti-Merz
Ce 29 janvier aura néanmoins des conséquences pour le jeu politique en Allemagne. Avec des scores supérieurs à 30 % dans les régions de l’Est du pays, l’AfD est devenu la première force parlementaire dans les territoires de l’ancienne RDA. Les fédérations régionales de la CDU vont désormais se demander pourquoi elles devraient continuer à s’allier avec un parti de gauche pro-Poutine (celui de Sahra Wagenknecht) pour former des alliances minoritaires, tout cela au nom du cordon sanitaire, alors que les conservateurs sont beaucoup plus proches des idées de l’extrême droite.
En envoyant ce message (“Unissez-vous à l’AfD !”), Merz tente de tourner définitivement la page de la “culture de l’accueil” d’Angela Merkel et de revenir aux fondamentaux des années 1990. “A l’époque, les conservateurs étaient encore plus radicaux que l’AfD en matière d’immigration. Ils voulaient même supprimer le droit d’asile”, rappelle Ursula Münch. Merz veut créer une rupture avec Merkel, qui est vue comme la cause de tous les problèmes. “Sans elle, l’AfD aurait sans doute beaucoup moins d’électeurs aujourd’hui”, pense Ursula Münch.
Angela Merkel, qui avait évincé Merz en 2002 des bancs de l’Assemblée, est sortie de son silence en publiant une missive assassine où elle dénonce une “manœuvre tacticienne”. L’ancienne Chancelière avait pourtant promis de garder le silence dans la campagne. “Elle a décidé de prendre la tête d’une fronde anti-Merz”, constate Markus Linden, politologue à l’université de Trèves, avant d’ajouter : “Ce n’est pas rien. Son poids politique est encore important”.
Source