Haro sur Edouard Philippe. François Bayrou et Gabriel Attal ont tous deux ciblé dimanche 2 février l’ancien Premier ministre, coupable de crime de lèse-Parlement. Sa faute ? Lors d’un meeting à Bordeaux le 26 janvier, il épinglait l’impossibilité d’engager des réformes structurelles d’ici à 2027 dans cette Assemblée morcelée. “Nous ne ferons rien de décisif dans les deux ans qui viennent”, lançait le candidat déclaré à la prochaine présidentielle.
Ses deux “amis” du bloc central lui ont répondu avec vigueur. “Je ne partage pas ce point de vue, assure Gabriel Attal au JDD. Je vois évidemment les obstacles, notamment parlementaires, mais je ne veux pas m’y résoudre. La clé, c’est le peuple. Le président a ouvert la voie à des référendums, alors allons-y.” François Bayrou s’est laissé aller à une réplique plus virulente. “L’idée que nous sommes condamnés à l’impuissance est pour moi antinationale”, glisse le Premier ministre à La Tribune Dimanche, convoquant la mémoire du Général de Gaulle et de Pierre Mendès France.
“Il faut que Bayrou dégonfle”
Deux rhétoriques aussi jumelles qu’habiles. Le chef du gouvernement et son prédécesseur s’érigent avec emphase en adversaires de la résignation. Qu’on se le dise : Gabriel Attal et François Bayrou ne sont pas du genre à baisser les bras. “Se payer le luxe de deux ans d’immobilisme serait criminel pour les Français”, s’alarme le premier. Le second oppose ceux qui se “lamentent” à ceux qui “saisissent à bras-le-corps la réalité avec la volonté et l’espoir de la changer”. Edouard Philippe sait dans quel camp il est rangé. “Il faut que Bayrou dégonfle, raille un proche du Havrais. Il est loin du courage de Mendès France et veut durer à tout prix”.
Trois présidentiables dans le même bocal, cocktail explosif. Chacun joue ici une partition inhérente à sa position. Gabriel Attal et François Bayrou cherchent à donner du sens à leur présence dans le chaudron parlementaire. La stabilité comme seul horizon est un peu court. Tous deux poursuivent une quête de sens, quitte à caricaturer les propos d’Edouard Philippe. Le patron d´Horizons ! ne dépeint pas un immobilisme généralisé, mais l’incapacité du Parlement à adopter des réformes de grande ampleur.
“Négociateur de bouts de ficelle”
Lui aussi joue une carte personnelle. Edouard Philippe a refusé en juin de se lancer dans la bataille des législatives, préférant se tenir à distance de l’Assemblée. Autour de lui, on juge la stratégie bienvenue. “Edouard doit se situer à un autre niveau que négociateur de bouts de ficelle avec les groupes EPR et LR”, juge un proche. L’édile a intérêt à alimenter la musique d’un Parlement impuissant pour apparaître comme son miroir inversé. “Ce que je proposerai sera massif”, promettait-il en septembre dans Le Point, à l’occasion de son annonce de candidature à l’élection présidentielle. Cette Assemblée archipelisée vous épuise ? Vous savez quoi faire en 2027 ! “C’est une posture personnelle de Philippe, il veut se positionner comme le réformateur crédible”, raille une ministre.
Laurent Wauquiez, partenaire contrarié du socle commun, use d’une rhétorique identique. Le député de Haute-Loire notait le 15 janvier sur CNews qu’on ne pourrait pas lancer une “véritable reconstruction” du pays dans cet hémicycle, prônant l’émergence d’une “offre radicale”. Philippe, la rupture avec Macron. Wauquiez, avec le macronisme. Tous deux misent sur un effet de contraste entre la situation actuelle et leur programme en gestation.
Ce jeu de positionnement cache mal une observation générale dans le bloc central. La division de l’hémicycle en trois blocs se prête mal à l’audace réformatrice. Les divergences idéologiques entre la gauche, le centre-droit et le Rassemblement national l’empêchent. “On ne fera pas de grandes choses, mais on peut faire des choses utiles”, résume un fin connaisseur de l’Assemblée. La recherche d’un pacte de non-agression avec le Parti socialiste implique enfin la plus grande prudence. Ainsi, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau n’est pas pressé de transcrire dans la loi le Pacte européen sur l’asile et l’immigration. Un ancien ministre EPR résume : “On est nombreux à se complaire dans cette forme d’immobilisme pour préparer la suite sans que cela ne tangue fort.” De cette situation inédite, chaque présidentiable fait juste une description conforme à ses intérêts.
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