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Au robinet ou en bouteille, quelle eau peut-on boire sans risque ? Deux experts répondent


Les alertes à la pollution dans l’eau du robinet et celle en bouteille se multiplient ces derniers mois. La qualité de cette ressource naturelle, la plus vitale pour l’être humain, inquiète. Peut-on boire de l’eau sans risque en France et si oui, laquelle ? Plusieurs études viennent en effet de démontrer la présence de métabolites de pesticides, de gaz cancérigènes et de polluants éternels, les fameux PFAS – les substances per- et polyfluoroalkylées – dans l’eau du robinet. Plus récemment, des enquêtes journalistiques ont révélé que des marques d’eau en bouteille, dont Contrex et Hépar (Nestlé), censées être de qualité supérieure à l’eau du robinet, appliquent des traitements interdits car leurs eaux présentent des contaminations bactériologiques (comme E. coli). Difficile, dès lors, de savoir à quelle eau se fier.

Interrogés par L’Express, deux scientifiques tentent de répondre aux questions que ces problématiques soulèvent. Rémy Slama est épidémiologiste environnemental, polytechnicien, ingénieur agronome, directeur de recherche à l’Inserm et professeur attaché à l’École normale supérieure de Paris. Il étudie en particulier l’influence des contaminants environnementaux – polluants atmosphériques, perturbateurs endocriniens, exposome. Xavier Coumoul est professeur de toxicologie et de biochimie à Université Paris Cité. Il dirige l’équipe Inserm Metatox. Il est l’un des coauteurs d’une large expertise de l’Inserm sur les pesticides (5 300 études scientifiques passées au peigne fin), publiée en 2021, qui reste l’une des plus complètes sur le sujet, et travaille sur l’effet des perturbateurs endocriniens sur la santé ainsi que sur les relations entre pollution et développement de certains cancers.

L’Express : Les dernières révélations par la presse et les scientifiques amènent à se poser une question simple : peut-on encore boire de l’eau sans risque en France ?

Rémy Slama : Répondre à cette question avec certitude est difficile, car il y a peu d’études rigoureuses sur le sujet. C’est un grave manque compte tenu de l’enjeu sanitaire. Le plus probable est qu’il existe un risque sanitaire dans une certaine proportion des réseaux d’adduction d’eau [NDLR : conduite des eaux vers des installations de traitement puis de distribution]. Pourquoi ? D’une part, plusieurs substances dangereuses ne sont pas surveillées systématiquement – c’est le cas de résidus de médicaments, de nombreux sous-produits de chloration, des PFAS, dont la surveillance est prévue à partir de 2026. D’autre part, pour les substances dangereuses surveillées, il y a des dépassements des seuils réglementaires dans certains réseaux. Et enfin, les scientifiques ont des doutes sur la logique de fixation de ces seuils à ne pas dépasser, qui tient mal compte des résultats des études toxicologiques et épidémiologiques. Même pour les réseaux sans dépassement des valeurs limites, on ne peut donc pas garantir l’absence de risque.

Xavier Coumoul : Il est impossible de répondre à cette question, que ce soit pour l’eau du robinet ou en bouteille, et c’est un vrai problème. Même si l’eau est la ressource la plus surveillée, il existe des trous dans la raquette. Nous surveillons par exemple certains pesticides, mais pas tous. Et la surveillance des métabolites de pesticides, elle, n’existe pas ou quasiment pas.

Que sont les métabolites et pourquoi cette absence de surveillance serait-elle un problème ?

X. C. : Imaginez que la farine est un pesticide, alors le pain est le métabolite. Quand un pesticide arrive dans un organisme, ce dernier considère qu’il s’agit d’un corps étranger. Parfois, il peut l’éliminer directement par les urines, comme avec le glyphosate. Mais dans d’autres cas, ce n’est pas possible et l’organisme doit d’abord le transformer, en général pour le rendre plus soluble dans l’eau afin de l’éliminer dans les urines. Un processus similaire existe avec les bactéries et les champignons qui se trouvent dans nos sols.

Mais l’effet des métabolites sur la santé est peu étudié et mal compris. On considère en général qu’ils sont moins dangereux que les pesticides, ce qui est souvent vrai. Il existe toutefois des contre-exemples : le métabolite issu de l’insecticide Chlorpyrifos est plus dangereux que le produit original. Il existe 300 pesticides en France, mais pas de programme de recherche pour chacun d’eux, et encore moins pour leur métabolite. Or quand on se met à chercher, on trouve. Comme avec le chlorothalonil, un pesticide interdit en France en 2020, mais dont des collègues et moi avons retrouvé des traces de ses métabolites en 2023 dans plus d’un prélèvement d’eau sur deux. On ne sait pas si la molécule est toxique, ni à partir de quelle concentration, mais elle est partout. Cela pose le problème des effets cocktails : nous ne savons pas du tout comment toutes ces différentes molécules interagissent entre elles et si cela peut provoquer des problèmes.

Il pleut littéralement des PFAS

Ces derniers mois, des études ont révélé la présence de polluants éternels (TFA) dans l’eau du robinet dans 24 communes dont Paris, ainsi que de chlorure de vinyle monomère, un gaz classé cancérigène issu de la dégradation des canalisations en PVC, en particulier dans les petites communes ou en zone rurale. Faut-il s’inquiéter de la qualité de l’eau du robinet ?

R. S. : Les substances préoccupantes peuvent trouver leur origine à différents niveaux. En aval lors du transport de l’eau jusqu’au domicile, lors du traitement, ou encore plus en amont. L’actualité a mis la lumière sur le chlorure de vinyle monomère qui pourrait être relâché par les canalisations en PVC (polychlorure de vinyle). Une publication scientifique récente indique que ce problème a été ignoré, contrairement à celui du plomb, pour lequel des efforts ont été faits.

On parle aussi trop peu de la vaste famille des sous-produits de chloration, comme les trihalométhanes ou les acides haloacétiques, dont seulement une partie est surveillée et qui résultent de la réaction entre les substances chlorées utilisées pour limiter le risque microbien et la matière organique présente dans l’eau. Certains de ces sous-produits de chloration peuvent augmenter le risque de cancer de la vessie. Plus en amont, la problématique des PFAS est très préoccupante. Ils viennent parfois de très loin, puisque des travaux indiquent qu’on les retrouve dans l’eau de pluie, qui va ruisseler jusqu’aux sources d’eau potable. Il pleut littéralement des PFAS. Il faut fournir des efforts pour limiter leur présence dans l’eau, mais comme l’eau n’est pas la seule source d’exposition, des mesures de gestion plus vastes, touchant tous les secteurs, sont nécessaires.

Quid de l’eau en bouteille ? D’autres enquêtes et études révèlent que leur qualité n’est pas aussi bonne qu’on pourrait le croire et que de grandes entreprises sont forcées de les filtrer alors que cela est interdit.

R. S. : L’eau en bouteille est une eau d’origine souterraine, comme les deux tiers de l’eau du robinet distribuée en France. Sur le plan sanitaire, en consommer peut se défendre dans les zones où l’eau du robinet est de mauvaise qualité. Toutefois, en dehors de contaminations ponctuelles, l’eau en bouteille ne peut être une option à grande échelle pour un pays comme le nôtre du fait de son bilan pour l’environnement bien plus mauvais que l’eau du robinet. Ce mauvais bilan environnemental est lié au recours aux bouteilles en plastique, mais aussi au coût “carbone”, concernant l’émission de gaz à effet de serre. Il est bien plus efficace de transporter l’eau potable dans des canalisations avec l’aide de la gravité que dans des bouteilles en plastique rangées dans des camions, même s’ils sont propulsés par de l’électricité décarbonée…

X. C. : Il y a effectivement l’affaire Nestlé qui révèle des problèmes. Mais il y en a d’autres, comme les contaminations potentielles aux micro et nano plastiques, très difficiles à identifier. Une étude publiée en 2024 montre qu’on retrouve plus de 100 000 molécules de plastique par litre d’eau en bouteille. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de plastique dans l’eau du robinet, mais probablement pas aux mêmes niveaux.

Quitte à choisir, il faudrait donc plutôt opter pour l’eau du robinet ?

X. C. : Personnellement je bois de l’eau du robinet. Outre le critère “écologique”, il y a aussi le critère économique. L’eau du robinet est vendue 0,004 euro le litre. L’eau en bouteille varie de 0,5 à 1,50 euro le litre. C’est de 100 à 300 fois plus cher. Quand vous achetez de l’eau en bouteille, vous payez 99 % de plastique. Vous allez dire : “Ce n’est pas la même eau !” Mais les eaux Nestlé peuvent-elles être considérées comme minérales alors qu’elles sont traitées ? Leur justification est tout de même de disposer d’une eau d’une qualité particulière : plus de magnésium, plus de calcium, etc. Mais si elle doit être filtrée, ce n’est plus le cas.

Il existe des traces de polluants dans les eaux françaises. Mais les taux sont-ils inquiétants ? Représentent-ils un risque réel pour la santé ou faut-il plutôt considérer ces alertes comme des arguments en faveur d’un principe de précaution face à des molécules certes dangereuses, mais dont le risque n’est pas forcément avéré ?

R. S. : Comme je le disais, nous ne disposons malheureusement pas d’études solides permettant de quantifier si le risque lié aux contaminants chimiques de l’eau est élevé, comme peut l’être celui lié à la pollution de l’air qui fait perdre des mois d’espérance de vie à la population et provoque des dizaines de milliers de décès annuels en France, ou si l’effet est bien plus faible. Dans le cas de la pollution atmosphérique, il existe un petit nombre de polluants (les particules fines, les oxydes d’azote, l’ozone…) entraînant un impact important, et des données robustes sur l’exposition dans la France entière, ce qui rend la quantification de cet impact relativement simple. Il faut rappeler qu’une exposition faible à un grand nombre de substances peut entraîner un fardeau sanitaire tout aussi élevé que l’exposition à un petit nombre de substances à des doses importantes.

L’eau contient de nombreux polluants potentiellement dangereux qui ne sont pas suivis, ceux qui sont régulés le sont souvent selon une logique de seuils qui ont montré leurs limites. Rappelons par exemple que pour une substance bien étudiée comme le bisphénol A, sur une quarantaine d’années les doses d’exposition admissibles ont été divisées par plus de 200 000 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments. Il est tout à fait possible que les valeurs limites tolérées dans l’eau pour de nombreuses substances pour lesquelles les scientifiques n’ont pas de moyen de faire des travaux ne correspondent pas à des niveaux sans risque.

X. C. : Le risque pour la santé est difficile à évaluer, car nous ne connaissons pas suffisamment bien toutes les molécules, dont les métabolites, ni à quels taux d’exposition elles deviennent problématiques. C’est toujours la différence entre le risque et le danger : on sait que certaines molécules sont dangereuses en soi, mais on ne sait pas à partir de quel niveau. Nous, scientifiques, sommes toujours très embêtés car lorsqu’on nous demande : “Est-ce que ceci est risqué, et cela ?” On ne sait pas toujours. On manque encore cruellement de moyens pour étudier correctement l’eau.

Quelles solutions faut-il envisager ?

R. S. : Nos sociétés sont inefficaces pour protéger les milieux (eau, air, alimentation) et nos organismes, comme l’illustrent de nombreuses études. Bien que nous isolions l’eau douce consommée par les humains du reste du réseau d’eau douce, qui est fortement dégradé et contaminé notamment par des polluants persistants, le réseau d’eau potable reste pollué.

Une solution générale pour préserver la qualité de l’eau serait de respecter un des principes fondamentaux de gestion de l’environnement : traiter le problème à la source, en évitant la contamination plutôt qu’en essayant de la réparer. C’est la logique des périmètres de protection des captages et de la protection des aires d’alimentation, consistant à limiter les activités polluantes dans les zones susceptibles d’alimenter un captage en eau potable. Malheureusement, cela ne suffit plus, car l’eau de pluie est elle aussi contaminée par des substances chimiques, parfois produites ou utilisées en un lieu lointain, dont les PFAS. Cela impose de traiter l’eau en plus de réglementer bien plus fermement les polluants persistants.

X. C. : Les solutions sont forcément complexes. Prenez le syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif). On leur demande de fournir une eau propre aux citoyens. Ils ont donc mis en place dans l’une de leurs trois usines de traitement un nouveau système de filtration. Il est tellement efficace qu’il élimine presque tous les pesticides et PFAS… mais aussi les minéraux, comme le calcium et le magnésium, qu’ils doivent donc rajouter après filtrage. En plus, le liquide filtré, hyperconcentré en polluants, est ensuite remis… dans la rivière ! Il ne faut pas leur jeter la pierre, car ils font ce qu’ils peuvent – ils ne peuvent pas faire autrement. Cela illustre la difficulté du problème. Et enfin, le coût énergétique d’un tel traitement est beaucoup plus important. L’eau est plus pure, mais le bilan carbone est mauvais, et cela implique une pollution en aval de la rivière.

Alors que faire ? On peut souhaiter diminuer tous les pesticides et faire en sorte que les usines ne crachent plus de PFAS… mais le problème n’est pas moins complexe. Il faut tout de même rappeler que les cancers augmentent en France, et on peut se poser la question de la qualité de l’environnement en général. Bien sûr, sur une note positive, l’espérance de vie continue de progresser. Mais ne serait-il pas mieux de mettre en place des politiques de prévention, plutôt que de développer des solutions aux problèmes ?

Que pensez-vous des dispositifs de filtrage maison ?

X. C. : Les cartouches à base de charbon actif permettent de filtrer les molécules lipophiles, c’est-à-dire qui ont une affinité avec le gras. Cela fonctionne avec les pesticides. Mais probablement pas avec les PFAS qui n’ont pas d’affinité avec le gras et sont utilisés notamment dans les poêles antiadhésives. Ces cartouches ne peuvent en théorie donc pas faire de mal à condition de les remplacer régulièrement. Car si elles sont saturées, elles peuvent relarguer tout ce qu’elles contiennent d’un coup. Se pose néanmoins la question du coût. Tout le monde ne peut pas se payer ça. Or l’eau est vitale pour tout le monde.




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