Pourquoi est-on de gauche ou de droite ? Est-ce un déterminisme social, un héritage parental, une préférence morale, les hasards de la vie ou tout simplement une question d’âge ? A cette vaste question qui occupe sociologues et psychologues, Laetitia Strauch-Bonart apporte avec La Gratitude un éclairage personnel. Essayiste et journaliste férue d’idées, notre ancienne consœur à L’Express est un cas atypique. Elle se définit comme une libérale-conservatrice, soit l’association de deux courants particulièrement mal compris en France.
Elevée seule par une mère musicienne de gauche, Laetitia Strauch-Bonart a grandi près de la place de la Nation à Paris, avant de s’installer à Montpellier. Abandonnée par un père lui aussi de gauche et dont les valeurs de solidarité entraient en contradiction flagrante avec son égoïsme en tant que géniteur, la lycéenne se passionne pour la philosophie. En terminale, elle a pour professeur, et premier mentor, Jean-Claude Michéa, penseur anticapitaliste qui fustige une gauche qu’on n’appelait pas encore “bobo”. Devenue normalienne, elle développe une allergie à l’élite des progressistes étudiants. “A les entendre, l’un des pays les plus libres et prospères du monde s’apparentait à l’enfer sur terre, et eux, à ses damnés”, écrit-elle. En 2010, elle fait son coming out de droite. Laetitia Strauch-Bonart s’interroge avec honnêteté : ne vote-t-on pas simplement pour défendre ses propres intérêts fluctuants ? On peut être antilibérale quand on vit dans un appartement modeste, puis passer à droite quand on commence à goûter aux charmes discrets de la bourgeoisie.
Après la théorie, place à la pratique. La jeune intellectuelle tente sa chance à Bercy en tant que plume de François Baroin. L’essai a beau s’intituler La Gratitude, il éreinte le fonctionnement d’un cabinet avec son ministre ne maîtrisant ni l’anglais, ni l’informatique, tout en étant entouré d’une cour de quarante conseillers. Laetitia Strauch-Bonart trouvera finalement son maître au Royaume-Uni en la personne de Roger Scruton, philosophe conservateur et gentleman-farmer. Elle étudie l’œuvre d’Edmund Burke, père du libéral-conservatisme. Alors que dans notre pays, l’auteur des Réflexions sur la Révolution de France est associé aux contre-révolutionnaires Joseph de Maistre et Louis de Bonald, Laetitia Strauch-Bonart découvre les subtiles différences entre conservatisme et réaction. Député, Burke siégeait du côté des libéraux. Pour lui, il ne s’agissait pas de revenir à une monarchie de droit divin, mais de prendre garde à ne pas modifier trop brutalement les équilibres d’une société.
“Les conservateurs ont deux adversaires”
Dans un chapitre intitulé “L’anti-modèle”, l’auteure raconte comment son retour en France en 2021 a coïncidé avec l’essor politique d’Eric Zemmour. Elle explique les raisons de son “anti-zemmourisme” et pourquoi tout l’oppose à une idéologie totalisante, maurrassienne et rétrograde. “Les conservateurs ne doivent pas oublier qu’ils ont non pas un mais deux adversaires, les progressistes et les réactionnaires”, assure-t-elle. Entre les idéalistes de l’avenir et les “prophètes du passé”, il y a une troisième voie.
Face au zemmourisme, Laetitia Strauch-Bonart fait l’éloge de sa droite à elle, celle d’un Tocqueville ou d’un Guizot, qui tente de concilier besoin d’ordre et désir de liberté. Etre de droite, selon l’essayiste, c’est estimer que la sécurité et la concorde sociale sont une exception historique, tandis que le conflit et la cruauté représentent la règle. Etre de droite, c’est être pessimiste, non pas désespéré. Etre de droite, c’est estimer que tous les humains ont une égale dignité protégée par l’égalité devant la loi, mais qu’il y a des talents inégaux, et que le mérite doit être encouragé. Etre de droite, c’est être convaincu que le libéralisme économique a favorisé la prospérité non seulement de l’Occident, mais du monde entier. En bonne disciple de Steven Pinker, Laetitia Strauch-Bonart rappelle qu’en deux cents ans, la richesse mondiale a centuplé et la part des personnes vivant dans l’extrême pauvreté est passée de 90 % à moins de 10 %. Enfin, être de droite, c’est pour l’auteure préférer la gratitude au ressentiment. En dépit de son accroche commerciale (“Et si vous étiez de droite vous aussi ?”), ce plaidoyer autobiographique ne convertira pas un lecteur bourdieusien. Mais un candidat d’une droite tempérée à la présidentielle de 2027 a de quoi y puiser des réflexions stimulantes.
La Gratitude, par Laetitia Strauch-Bonart. L’Observatoire, 234 p., 21 €.
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