* . * . * .

Une lune de miel entre Merz et Macron ? Ces sujets de friction à venir entre la France et l’Allemagne


A Saint-Ingbert, grosse bourgade de la Sarre, on vote chrétien-démocrate dès le berceau. Ici, les conservateurs allemands jouent à domicile ; ils y ont fait leur nid. Alors, ce dimanche 9 février, la salle de fêtes de cette ville de 36 000 habitants est pleine à craquer. Sur l’estrade, leur champion, Friedrich Merz, le leader de la CDU, en tête dans les sondages pour les élections du 23 février. Le sexagénaire n’est pas un tribun, mais il sait chauffer la salle quand il le faut.

“L’interdiction du moteur à combustion, les citoyens n’en veulent pas !”, s’époumone-t-il. Tonnerre d’applaudissements. Il faut dire que les sous-traitants de la région traversent un hiver glacial et que certains d’entre eux ont dû réduire la voilure. Soudain, Merz tire sur un fil plutôt inattendu pour galvaniser son auditoire. Osé dans une campagne électorale allemande, mais après tout, Saint-Ingbert n’est qu’à une trentaine de kilomètres de la frontière française. Oui, il faut prendre modèle sur la France et le souverainisme économique de son président en disgrâce, plaide le candidat conservateur. “Il fut une époque où l’Allemagne était la pharmacie de la planète. BioNTech est aujourd’hui cotée en Bourse à New York. Ses activités de recherche sont délocalisées au Royaume-Uni. Cela ne serait pas arrivé avec Emmanuel Macron. Ils seraient allés en Bourse à Paris. Une entreprise comme celle-là doit rester ici.” Et de poursuivre : “Il faut que l’on s’y prenne autrement avec nos voisins. Quand Emmanuel Macron a tenu ses discours proeuropéens à la Sorbonne, il n’y a eu aucune réponse de l’Allemagne.”

Tout avait mal commencé entre Scholz et Macron

Un mea culpa à rebours de la raideur vaguement hostile de l’actuel chancelier Olaf Scholz envers le président français. Il faut dire qu’entre les deux chefs d’Etat, tout a mal commencé, une succession d’incidents. Jusqu’au dernier, il y a un an, quand Macron déclare que “rien ne doit être exclu” à propos de l’envoi de troupes françaises en Ukraine. Avec Merz, le probable futur chancelier allemand, le courant passe mieux. “Ils s’entendent très bien”, affirme-t-on à l’Elysée. Les deux hommes se seraient longuement entretenus en octobre dernier lors du Berlin Global Dialogue, une conférence réunissant chefs d’Etat et grands patrons du monde entier.

Tout irait pour le mieux, donc, si, de ce côté du Rhin, une petite musique ne commençait à se faire entendre. Et si la France, après la possible élection de Merz, se retrouvait au pied du mur ? Et si cette complicité nouvelle n’était qu’une entente de façade, tant les visions stratégiques et les chemins empruntés par les deux pays sont orthogonaux ? “La paralysie politique de l’Allemagne et celle d’Olaf Scholz ces dernières années ont été un facteur de blocage en Europe. Tout le monde en a pâti”, pointe Shahin Vallée, chercheur en économie politique au Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik. Mais le réveil allemand suscité par la possible victoire des conservateurs et la mise en place d’une politique économique plus libérale pourraient révéler toutes les impuissances de la France de 2025. Pis, “avec le virage Merz, la France pourrait payer cher ses propres erreurs”, soutient le spécialiste des questions européennes, Jérémie Gallon.

Ses erreurs… ou plutôt ses errements budgétaires. Si le gouvernement Bayrou peut pousser un grand soupir de soulagement après l’adoption d’un budget pour 2025, le rétablissement des comptes budgétaires reste très hypothétique. Quand la France annonce une surtaxe exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés des grandes entreprises, les conservateurs allemands proposent une thérapie de choc fiscale avec une baisse massive des impôts et une réduction des dépenses sociales. Certes, la nécessité pour la CDU de construire un projet de coalition avec les socialistes du SPD – et peut-être avec un troisième parti – au lendemain du scrutin devrait forcer les conservateurs à revoir leur copie.

Mais pour la première fois depuis des années, une forteresse est en train de se fissurer outre-Rhin. Le sacro-saint frein à l’endettement inscrit dans la Constitution depuis une quinzaine d’années et qui limite le déficit public à 0,35 % du PIB pourrait être contourné. La CDU ne l’a pas inscrit formellement dans son programme, mais Friedrich Merz s’est dit ouvert à la discussion. Un objectif défendu depuis des années par les socialistes et les Verts qui ne cessent de pointer le retard d’investissement de l’Allemagne dans les infrastructures et les besoins gigantesques de l’armée allemande. “L’Allemagne est en passe de faire tomber le tabou du frein à l’endettement quand la France n’arrive pas à faire sauter celui de la baisse de la dépense publique”, poursuit Shahin Vallée.

Un verrou allemand saute

Dans les salles de marché des grandes banques, un scénario noir pour Paris est en train de s’écrire. Si Berlin était amené à emprunter davantage et donc à émettre plus d’obligations sur les marchés financiers, Paris aurait alors un peu plus de mal à placer ses propres titres. Or les besoins français sont considérables, près de 300 milliards d’euros rien qu’en 2025. “Depuis des années, les investisseurs financiers et les grands fonds de pension se gorgent de dette française car ils ne parviennent pas à acheter les quantités d’obligations allemandes qu’ils souhaitent. Les choses pourraient changer, avec à la clé un impact sur les taux d’intérêt français”, redoute Stéphane Déo, senior manager du fonds d’investissement Eleva Capital. En clair, un écartement du fameux spread, l’écart de taux entre la France et l’Allemagne. Evidemment une très mauvaise nouvelle pour Paris, qui serait obligée de financer plus cher sa dette.

Surtout, les sujets de frictions entre les deux pays ne vont pas disparaître avec une nouvelle tête à la Chancellerie. Aux premiers rangs desquels la question commerciale et celle de l’Europe de la défense. Si le relèvement des droits de douane brandi par Donald Trump touche tous les produits européens, Berlin et Paris ne sont pas forcément sur la même longueur d’onde quant au calibrage de la réponse européenne. “Friedrich Merz est un fervent partisan du libre-échange”, souligne Yann Wernert, directeur de l’institut Jacques-Delors à Berlin. Là où Paris pourrait être tenté de jouer des muscles face à Washington, Berlin, poussé par ses grandes entreprises exportatrices, chercherait surtout à trouver de nouveaux débouchés, notamment en Amérique latine. Le hic, c’est qu’Emmanuel Macron a pris la tête de la fronde anti-Mercosur. Et la signature du traité de libre-échange avec les cinq pays latino-américains en décembre dernier par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, contre l’avis de la France, a déclenché l’ire de Paris.

De même, si Emmanuel Macron et Friedrich Merz se rejoignent quand ils parlent de la nécessité de construire une Europe de la défense, chacun l’imagine à sa sauce. “Quand Macron en parle, c’est aussi pour que l’industrie française en profite”, souligne Shahin Vallée. Il n’y a qu’à voir comment le projet du Scaf, le futur avion de combat européen, a été dessiné. L’avionneur Dassault tire les marrons du feu quand les Allemands ont surtout l’impression d’ouvrir leur chéquier. “A l’inverse, Berlin, qui a besoin de se réarmer rapidement, est prêt à acheter américain, coréen, ou israélien et met moins l’accent sur la souveraineté industrielle que la France, car le temps presse”, rajoute Hans Stark, professeur à Sciences Po Paris.

Dans cette nouvelle page de la relation franco-allemande, tout n’est toutefois pas joué. Merz pourrait avoir besoin, dans un contexte géopolitique tourmenté, d’un Emmanuel Macron, même si celui-ci, bientôt en fin de second mandat, est largement démonétisé à Bruxelles depuis les élections européennes. Les attaques violentes du vice-président américain, J.D. Vance, contre les Européens, lors de la conférence de Munich, le 14 février, ont en effet profondément heurté les Allemands – pourtant proches alliés de Washington. Face à une administration américaine qui les méprise, le futur Chancelier peut être tenté de jouer la carte française. Lors d’une conférence, à Berlin, le 23 janvier, à laquelle assistait L’Express, il l’a d’ailleurs suggéré : “Je vais mettre à profit les deux dernières années du mandat d’Emmanuel Macron pour renforcer la souveraineté de l’Europe.” Il est permis d’y croire.




Source