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Ukraine : de McKinsey au Kremlin, l’étonnant parcours de Kirill Dmitriev, le négociateur de Vladimir Poutine


“Un pas important” dans l’optique du “règlement pacifique” du conflit ukrainien a été effectué mardi 18 février. C’est ce qu’a jugé le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov ce mercredi à propos des pourparlers organisés la veille avec les Etats-Unis à Riyad, en Arabie saoudite. Des négociations auxquelles l’Ukraine, qui subit depuis trois ans un assaut russe, n’a pas été conviée, au grand dam de Volodymyr Zelensky.

L’émissaire spécial de Donald Trump pour les affaires internationales sensibles, Steve Witkoff, aussi chargé du Moyen-Orient, a indiqué aux journalistes que son contact en Russie était “un monsieur appelé Kirill”, dont le rôle a été “important”. Il s’agit de Kirill Dmitriev, le patron du Fonds russe d’investissement direct (RFPI) et un des négociateurs russes dans ces pourparlers russo-américains.

Kirill Dmitriev n’était pas présent dans la salle, mais faisait partie de la délégation russe à Riyad menée par le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov. L’homme de l’ombre a déclaré aux journalistes qu’il se concentrerait sur les futures relations économiques avec les Etats-Unis, rapporte la BBC : “Nous devons réaliser des projets communs, notamment dans la région arctique et dans d’autres régions.” “Il est très important de construire des ponts” entre les deux pays, a affirmé Kirill Dmitriev, rapporte l’AFP, estimant que “les relations entre les Etats-Unis et la Russie sont très importantes pour la paix”.

Un grand connaisseur des Etats-Unis

La présence de Kirill Dmitriev au plus haut niveau de ces négociations intrigue. Kirill Dmitriev occupe une position unique dans la structure du pouvoir du Kremlin, note The Wall Street Journal (WSJ) : il exerce une influence financière, diplomatique et politique, mais n’a pas eu de carrière dans les services de sécurité russes.

Le Kremlin accorde une attention particulière à la composition de ses équipes de négociation et le choix d’inclure Kirill Dmitriev est donc mûrement réfléchi. Peu de Russes connaissent en effet mieux le secteur financier et commercial américain que cet homme de 49 ans né à Kiev, diplômé de la Harvard Business School. Kirill Dmitriev, qui parle couramment anglais, a travaillé chez Goldman Sachs et au cabinet McKinsey. Après avoir fait carrière aux Etats-Unis, il s’est spécialisé dans l’investissement privé en Russie et en Ukraine. Il a notamment dirigé Delta Private Equity, un fonds américano-russe mis en place sous Bill Clinton pour dynamiser l’économie russe, précise le site d’investigation russe Vajnye Istorii.

Kirill Dmitriev a été nommé en 2011 à la tête du Fonds russe d’investissements directs (RFPI), un organisme clé du Kremlin pour attirer des capitaux étrangers. Ce fonds de placement de plusieurs milliards de dollars est censé gérer les investissements étrangers en capital-investissement pour l’économie russe. Ce poste lui permet de siéger également aux conseils de surveillance de Gazprombank, Rostelecom, Alrosa, Transneft et Russian Railways, et de gagner environ deux millions de dollars par an, selon un rapport du média russe indépendant The Insider.

Un lien privilégié avec l’Arabie saoudite

Son poste à la tête du RFPI lui permet de se positionner comme un acteur incontournable des négociations économiques russes, principalement avec la Chine et les pays du Golfe. En 2016, Kirill Dmitriev a ainsi contribué à négocier un pacte entre la Russie et l’Arabie saoudite, appelé OPEP +, visant à augmenter les prix du pétrole après des décennies de tentatives infructueuses, précise The Wall Street Journal. Selon Novaïa Gazeta Europe, Kirill Dmitriev a en outre signé un accord majeur avec l’Arabie saoudite, grâce auquel il a levé plus de 1000 milliards de roubles (10 milliards d’euros) en 2023. Kirill Dmitriev, qui a dirigé la commercialisation internationale du Spoutnik V, le vaccin russe contre le Covid-19, a donc renforcé ses relations toujours plus étroites au Moyen-Orient.

“Il était très proche des monarchies du Golfe et a contribué à établir leurs liens avec le Kremlin”, a déclaré au WSJ Arsenii Pogosyan, alors porte-parole du ministère russe de l’Energie. Le choix de Vladimir Poutine d’en faire un acteur essentiel s’expliquerait donc en partie par ses liens privilégiés avec Riyad.

Un financier “très pragmatique”

Selon Reuters, Kirill Dmitriev a également joué un rôle crucial dans l’échange de prisonniers entre Moscou et Washington, en particulier lors de la libération du Russe Alexander Vinnik en contrepartie du retour de l’enseignant et ancien diplomate américain Marc Fogel. Kirill Dmitriev a travaillé avec Steve Witkoff lors de cet échange de prisonniers qui a précédé l’appel téléphonique de Donald Trump avec Vladimir Poutine, aux côtés du prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane.

Selon John Bolton, ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump lors de son premier mandat, le Kremlin a probablement choisi Kirill Dmitriev comme homologue de Steve Witkoff, qui a fait fortune dans l’immobilier et dont les Russes savent qu’il est proche du nouveau locataire de la Maison-Blanche. Kirill Dmitriev “pourrait discuter des grandes lignes de la manière dont la Russie souhaite que les sanctions soient levées, mais il est également là pour mettre Steve Witkoff à l’aise”, a déclaré John Bolton au WSJ.

“C’est l’heure des négociateurs. Vladimir Poutine a inclus dans son équipe un négociateur qui, comme de nombreux banquiers d’investissement, est très pragmatique, capable de parler en termes d’échanges et de transactions”, a de son côté indiqué au WSJ Andrei Kolesnikov, un analyste politique basé à Moscou. “En outre, cet homme est absolument fidèle à Vladimir Poutine.” L’épouse de Kirill Dmitriev, Natalia Popova, est une ancienne collègue de la fille cadette de Vladimir Poutine, Katerina Tikhonova, et a ensuite travaillé pour elle dans son institut, rapporte la presse russe. Interrogée par Bloomberg, Emily Ferris, chercheuse au Royal United Services Institute, un think tank à Londres, estime elle aussi que la Russie “opte pour le pragmatisme en essayant de recruter quelqu’un capable de parler business avec l’équipe de Trump.”

D’après Bloomberg, “Kirill Dmitriev pourrait endosser un rôle clé, celui d’interlocuteur officieux avec les négociateurs américains”, selon des sources proches du dossier interrogées par ce média. Avant les négociations de mardi, Kirill Dmitriev, qui a été sanctionné par le Département du Trésor après l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie, avait déclaré que l’administration Trump était “prête à écouter la position de la Russie, prête à la comprendre et c’est là que le dialogue commence”. Avec lui comme acteur incontournable.




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