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Aurore Bergé : “Le port du voile pour les fillettes n’est pas une question migratoire mais culturelle”


Que personne ne compte sur elle pour faire l’inventaire du macronisme. Trop tôt ? Trop décalé ? Quand Aurore Bergé n’était que députée et déjà omniprésente sur les plateaux de télévision pour prêcher la bonne parole élyséenne, un conseiller d’Edouard Philippe alors Premier ministre avait formulé ce drôle de compliment : “Je l’ai vue défendre Alain Juppé avec la même ardeur qu’elle défend aujourd’hui Emmanuel Macron [NDLR : pendant la primaire de la droite, Aurore Bergé soutenait la candidature juppéiste], ce qui m’inquiète autant que me convint qu’elle est indispensable dans le dispositif.”

Tant qu’Emmanuel Macron sera président de la République, la ministre de l’Egalité femmes-hommes protègera le bilan. Car la trentenaire connaît la politique, elle sait que du pouvoir du chef de l’Etat dépend le crédit qu’on accorde à ses ministres. Indispensable pour mener ses nombreuses batailles esquissées, décortiquées dans son livre Nos combats pour la République (Robert Laffont). Féminisme, antisémitisme, laïcité, populisme… Les luttes d’Aurore Bergé ont en commun de s’inscrire dans l’air du temps. Certaines s’annoncent périlleuses comme sa volonté d’obtenir l’interdiction du port du voile pour les fillettes. Entretien.

L’Express : En 2020, Emmanuel Macron jurait de ne pas “abandonner ceux que le système a déjà abandonnés, leurs enfants et leurs enfants après eux”. Dans votre livre Nos combats pour la République, paru le 6 mars chez Robert Laffont, vous observez que “les Français ne voient plus le chemin du progrès et se persuadent que la vie de leurs enfants sera aussi difficile que la leur, si ce nest plus”. Est-ce là léchec du macronisme ?

Aurore Bergé : Comme des millions de Français, j’ai rejoint Emmanuel Macron sur une promesse, celle de l’émancipation et de la mobilité sous toutes ses formes : sociale, géographique, culturelle… Et nous avons relevé un défi majeur : celui du plein-emploi. Quand je vais à Hautmont, dans le Nord, sur les lieux du premier féminicide de l’année, je rencontre des femmes et des hommes qui pensent être assignés à résidence et se disent que l’avenir de leurs enfants ne sera pas meilleur que le leur. Comment aide-t-on ces Français ? Comment les écoute-t-on et les respecte-t-on ? Cela passe évidemment par l’école, pour que nos enfants rêvent grand, s’autorisent à rêver et à réaliser leurs rêves. Les quinquennats ont été percutés par les crises, les gilets jaunes, le Covid, l’énergie, l’inflation, la guerre en Ukraine, la situation au Proche-Orient. Elles ont empêché ou retardé certaines transformations que nous souhaitions porter. Il n’est pas trop tard. Dans un quinquennat, chaque minute compte et le mandat n’est pas terminé !

Autre soubresaut, politique cette fois : la dissolution. Vous interrogez l’intérêt même du front républicain, synonyme, selon vous, de “confusion politique”. Mais n’est-il pas une forme de clarté absolue face à l’extrême droite ?

Tout dépend de ce qu’on appelle “front républicain”. Celui qui naît le 21 avril 2002 au soir de la présidentielle est limpide. Il y a deux candidats et un choix binaire entre Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Lors de législatives, ça n’a rien à voir. Les désistements systématiques face au RN procèdent d’une forme de rétrécissement démocratique, cela entrave le choix des Français. Je crois à une république du respect, pas à celle de l’infantilisation, pas à celle où les politiques donnent des leçons. Les Français sont suffisamment grands pour faire la différence entre, non pas deux, mais trois candidats. La dissolution devait permettre de purger la question du RN. Au fond, on demandait : voulez-vous l’accession de ce parti aux responsabilités ? Il fallait laisser aux Français une liberté totale de choix et de vote. Comment peut-on penser qu’on combat le RN en mettant un bulletin LFI dans l’urne ? Ça n’a jamais été ma position et ça ne le sera jamais.

Vous racontez des choses personnelles. Dévoiler une part d’intimité, est-ce un passage obligé pour une personnalité politique en 2025 ?

Il n’y a pas de passage obligé. C’est plus simple, parfois, d’écrire les choses. La question n’est pas de se raconter mais de dire qui on est, d’être honnête et sincère. Quand je défends une proposition de loi pour empêcher un homme condamné pour violences conjugales d’être candidat aux élections et qu’on met en doute ma sincérité, c’est insupportable.

Dire qu’on est légitime [pour défendre une cause] seulement parce qu’on est soi-même concerné est le meilleur moyen de nourrir l’indifférence.

Ce jour-là, à l’Assemblée nationale, j’ai eu l’impression presque physique d’être un taureau dans une corrida, dans lequel tout le monde avait envie de planter des banderilles, de l’extrême droite à l’extrême gauche. Alors oui, j’ai eu envie de crier et de dire que je savais ce qu’étaient les violences à l’intérieur du couple. Et j’ai fait ce qu’il y a de pire pour une femme politique : montrer de la vulnérabilité, pleurer. Dans un univers encore régi par des codes masculins, virils même, il est de bon ton de montrer de la force, comme si c’était le seul moyen d’avoir du pouvoir. Mais avoir traversé des épreuves intimes, c’est ce que vivent beaucoup de Françaises et de Français, et ce n’est pas être fragile ou faible. Bien au contraire. C’est une force, une résilience, une part d’humanité.

Aujourd’hui, on entend beaucoup que seules les victimes ou seules les personnes concernées sont légitimes pour porter leur combat…

C’est une essentialisation insupportable et absurde. Dire qu’on est légitime seulement parce qu’on est soi-même concerné est le meilleur moyen de nourrir l’indifférence. D’ailleurs, je l’observe dans la lutte contre l’antisémitisme. Même des proches m’ont interrogée : “Mais pourquoi ce combat t’intéresse tant ?” Le simple fait que cette question existe est un problème ! Depuis quand aurions-nous besoin d’être directement touchés dans notre chair ou dans notre intimité pour nous émouvoir de la souffrance d’autrui ? Cette logique conduit à l’individualisme. Si seules les personnes concernées ont le droit de s’emparer d’une cause, alors chacun reste chez soi et se retranche dans sa communauté.

L’”affaire Julien Bayou” a laissé apparaître une volonté chez certains et certaines, comme Sandrine Rousseau, de décorréler la vérité judiciaire des faits présumés, n’est-ce pas aussi une dérive à dénoncer ?

Nous sommes en permanence sur une ligne de crête : accueillir la parole des femmes, leur donner la certitude qu’elles seront respectées et qu’elles peuvent avoir confiance en l’institution judiciaire. Et permettre l’établissement de la vérité judiciaire. Bien sûr, nous devons pour cela changer un certain nombre de règles, notamment en ce qui concerne la prescription, et nous le faisons. Dans le cas de Julien Bayou, il y a eu des dysfonctionnements graves. Les partis peuvent prendre des mesures conservatoires, demander une mise en retrait, le temps que la justice passe. Ce n’est pas aux partis de mener une instruction et encore moins d’inviter à la délation. Le tribunal politique ne peut pas se substituer à la justice. Si nous maintenons une confusion entre le droit et la morale, cela ne servira pas les femmes, ni le féminisme. Cela ne permettra pas demain à nos petites filles d’évoluer dans des environnements plus sûrs, plus accueillants, plus respectueux. Et c’est pour cela qu’on doit se battre.

Allez-vous porter une initiative parlementaire contre le port du voile par des fillettes ?

Si on ne parvient pas à se mettre d’accord là-dessus, alors c’est que nous ne savons plus qui nous sommes. Les Français sont étreints par des angoisses liées à la disparition de leur mode de vie, à la dilution d’une part de leur identité dans la mondialisation. Nous devons y répondre par un discours et des actes authentiquement universalistes et républicains. J’appartiens à une génération politique pour qui la République et la laïcité sont non plus des évidences mais de nouveau des combats.

Je ne veux évidemment pas soulever un débat qui stigmatiserait une catégorie de population, je souhaite seulement permettre l’émancipation de tous nos enfants. Empêcher qu’on les assigne à une communauté à des âges où ils ne sont pas libres de consentir. Une enfant de 7, 8, 10 ans ne peut pas dire non à son père ou à sa mère. Et la question du port du voile pour les enfants n’est pas une question migratoire mais une question culturelle. Pour beaucoup de Français, le flux nouveau d’immigration compte moins que ces questionnements identitaires. Comment retrouver un pacte social, républicain et universel ?

Donc, je n’abandonnerai pas ce combat, car il n’a rien d’accessoire. Il suffit de pianoter sur son téléphone pour trouver en quelques clics des boutiques, en France, qui vendent des abayas pour des petites filles ou des tutos sur TikTok. Il n’y a aucune raison que j’apprenne à ma fille qu’elle a le droit de rêver grand, d’être libre pendant que d’autres petites filles sont privées du simple droit de montrer leurs cheveux. Chaque parti, chaque groupe politique, chaque parlementaire doit être mis face à ses responsabilités. Une proposition de loi est sur la table grâce aux députés Renaissance. Il est temps.

L’Algérie a tenté de convaincre l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal de choisir “un avocat français non juif”, selon Marianne. Cette information inouïe a suscité peu de réactions. Diriez-vous qu’il existe un antisémitisme que l’on tolère, pour “ne pas faire de vagues” ?

Quand je me suis rendue au rassemblement en hommage à Kfir, Ariel et Shiri Bibas, beaucoup des personnes présentes m’ont remerciée pour mon “courage”. Mais ça ne devrait pas être une marque de courage de s’engager contre l’antisémitisme ! Une peur s’installe parce que, derrière l’antisémitisme, il y a l’islamisme. On sait qu’on a une cible dans le dos quand on s’exprime sur ces sujets. Le 7 octobre a provoqué une fracture dans la société française, on a eu cette injonction à choisir un camp. Mais, le 7 octobre, il n’y avait qu’un choix possible ! Celui de l’humanité, de l’empathie, de la solidarité. Le simple fait de poser la question a nourri un profond sentiment de solitude chez les Français juifs, ils se sont sentis isolés dans leur quotidien, à l’école, à l’université, dans les transports publics, parfois même sur leur lieu de travail. Nous devons créer les conditions du sursaut. C’est dans cet esprit de combat que j’ai relancé les assises de lutte contre l’antisémitisme.

Vous êtes visée par une information judiciaire pour faux témoignage. A quel moment de la procédure judiciaire la question de la présence au gouvernement se pose pour un ministre ?

Une information judiciaire comme une mise en examen ne sont pas des marques d’une culpabilité. Je rappelle que j’ai porté plainte en diffamation. Je réserve mes réponses à la cour de justice de la République qui doit pouvoir faire son travail sereinement.

Savez-vous déjà qui vous auriez envie de soutenir lors de la prochaine campagne présidentielle ?

Aujourd’hui, on ne sait pas qui sera sur la ligne d’arrivée car on ne connaît pas encore la ligne de départ. Je prendrai toute ma part au débat national, c’est une certitude. 2027 doit être un moment de courage, et je n’ai jamais été de ceux qui se débinent.

Nos combats pour la République, Par Aurore Bergé. Robert Laffont, 18,50 €, parution le 6 mars 2025.




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