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Investissements en Bourse : “Il faut se montrer sélectif et chercher la diversification”


Malgré un environnement complexe, 2024 s’est révélée porteuse pour les investisseurs, grâce au ralentissement de l’inflation, à des Bourses mondiales en hausse et à la bonne rémunération des livrets et des comptes à terme. Vincent Mortier, directeur des gestions du groupe Amundi, évoque les opportunités d’investissement en Bourse en 2025.

L’Express : le contexte est-il propice à la prise de risque ?

Vincent Mortier Il faut prendre des risques identifiés et calculés, mais pas tous les risques. Actuellement, le système financier reste abondamment alimenté en capitaux, résultat des politiques monétaires et budgétaires passées ainsi que d’une épargne pléthorique. Ces liquidités cherchent à être investies, ce qui soutient les marchés, mais elles peuvent également engendrer des excès. Il faut donc se montrer sélectif et chercher la diversification.

Par ailleurs, nous observons un phénomène de “gamification” de l’investissement depuis le Covid, particulièrement aux Etats-Unis. Dans ce plus grand bassin d’épargne au monde, de nombreux particuliers sont exposés à la Bourse, et de plus en plus souvent via des produits risqués et à effet de levier. Tant que les marchés progressent, la situation est favorable, mais, en cas de correction, les pertes pourraient être importantes.

Comment abordez-vous les marchés états-uniens ?

En termes de valorisation, ces marchés affichent des niveaux historiquement élevés, mesurés par le ratio cours sur bénéfice (PE). La volatilité y est faible et la hausse des cours s’est concentrée sur un petit nombre de valeurs. Compte tenu de l’enthousiasme des investisseurs et des espoirs suscités par la politique de Donald Trump, ce marché pourrait rester cher encore un certain temps. Il faudrait de nombreuses mauvaises nouvelles pour modifier radicalement leur sentiment. Dans ce contexte, nous privilégions les indices équipondérés, moins valorisés et moins exposés à des biais sectoriels que les indices pondérés par la capitalisation. Par ailleurs, depuis l’élection de Donald Trump, nous avons maintenu notre exposition aux actions états-uniennes, tout en protégeant nos portefeuilles avec des options couvrant une éventuelle baisse dans les six mois à venir. Ces produits financiers, également accessibles aux particuliers, sont actuellement peu onéreux.

La diversification n’est-elle pas une autre forme de protection ?

Effectivement, nous identifions de nombreux marchés décorrélés des Etats-Unis offrant des opportunités de diversification intéressantes. C’est notamment le cas de l’Inde, où les entreprises affichent une croissance régulière et des perspectives prometteuses. Les valorisations y sont élevées, mais les fondamentaux solides de cette économie le justifient.

Nous sommes également positifs sur le Japon, malgré les fortes progressions de 2024. Des occasions subsistent, surtout dans les entreprises domestiques, d’autant plus que le yen pourrait s’apprécier face au dollar.

A condition d’adopter un horizon de placement de long terme, la Chine constitue également un pari intéressant. Deuxième économie mondiale, en pleine transformation et innovante, elle présente des valorisations particulièrement faibles. Depuis le point bas touché en novembre dernier, le contexte macroéconomique s’est amélioré grâce à des politiques monétaires plus accommodantes de la Banque centrale. Mieux vaut toutefois éviter les mégacapitalisations, trop liées au pouvoir politique, et privilégier les PME bien gérées dont le pays regorge.

Quel événement pourrait amener les investisseurs à un meilleur sentiment sur la Chine ?

A court terme, des turbulences pourraient survenir en raison de l’instauration de barrières douanières par les Etats-Unis, suivie de mesures de rétorsion chinoises. Mais, une fois ces tensions stabilisées, une forme de compromis pourrait émerger. Par ailleurs, la Chine a besoin d’un agenda clair de mesures pour restaurer la confiance des investisseurs locaux. Nous espérons enfin l’annonce d’un plan de soutien massif à la consommation domestique, que les autorités ont les moyens de mettre en œuvre.

Le découplage boursier entre les Etats-Unis et l’Europe peut-il durer ?

En Europe, les perspectives de croissance sont plus limitées, les incertitudes politiques nombreuses, et la dynamique démographique y est peu favorable. Ces facteurs justifient en partie que le marché se traite moins cher qu’aux Etats-Unis. Cependant, l’ampleur actuelle de cette décote reflète beaucoup de pessimisme, en particulier vis-à-vis de la France, qui subit une dépréciation de l’ordre de 10 % depuis la dissolution de l’Assemblée nationale. La mise en place d’un plan de relance ambitieux en Allemagne après les élections de février pourrait changer la donne en dynamisant la zone euro, y compris la France, son principal partenaire commercial. Un accord de paix en Ukraine serait une autre bonne surprise susceptible de relancer la zone.

Peut-on se montrer optimiste pour la France ?

Les investisseurs étrangers regardent la trajectoire du creusement du déficit. Une inflexion, même modeste, serait perçue positivement. Ils surveillent également l’équilibre entre recettes et dépenses : des hausses d’impôts supérieures aux baisses des dépenses seraient mal accueillies, mais le vote d’un budget équilibré, sans censure du gouvernement, enverrait un signal favorable aux agences de notation et aux investisseurs internationaux. Il faut enfin garder à l’esprit que les grandes entreprises du CAC 40 sont peu exposées à l’économie nationale, ce qui explique la résistance de l’indice en 2024.

Intégrez-vous l’or dans vos allocations ?

Depuis plusieurs années, avec une allocation de 5 à 10 %. Cette position se justifie par le rôle de diversification et le potentiel de progression du métal précieux. La demande, principalement issue des Banques centrales et des fonds souverains d’Asie centrale et de Chine désireux de réduire leur sensibilité au dollar, reste soutenue. Par exemple, la Banque centrale chinoise a augmenté la part d’or dans ses réserves de 4,6 % à 6 % en un an. Cette tendance structurelle devrait continuer à soutenir les cours.

Les marchés obligataires demeurent-ils attractifs ?

Nous sommes entrés, presque partout dans le monde, dans un cycle de baisse des taux courts. Il s’agit d’un mouvement global des Banques centrales, même s’il devrait être moins marqué qu’anticipé aux Etats-Unis du fait de la politique inflationniste de Donald Trump.

En revanche, nous n’avons pas les mêmes anticipations sur les taux longs, qui réagissent à l’incertitude, à l’inflation de long terme ainsi qu’à la loi de l’offre et de la demande. En particulier, les pays qui ont besoin d’émettre beaucoup de dette doivent offrir une rémunération suffisante pour attirer les investisseurs. C’est le cas des Etats-Unis dont les projections de trajectoire de la dette impliquent des montants d’émission hors norme. Les taux à 10 ans états-uniens ont récemment atteint 4,7 %, offrant un niveau de rendement intéressant. Or, après une période de croissance mécanique sous l’effet de la politique de Donald Trump, l’économie devrait ralentir fortement. D’ici à mi-2026, la Fed devrait revenir vers une politique monétaire plus accommodante, ce qui entraînera un repli des taux sous 4 % et donc une appréciation des titres actuels. Par ailleurs, certaines obligations des pays émergents sont attrayantes car elles offrent une rémunération supérieure de 1 à 2 % pour un risque équivalent.

Enfin, concernant la dette émise par des entreprises, nous privilégions le segment investment grade aux Etats-Unis comme en Europe, le surplus de rémunération offert pour des titres de qualité inférieur n’étant pas suffisant.

A quoi faut-il prendre garde dans les prochains mois ?

Nous resterons vigilants quant aux décisions effectives de Donald Trump et à l’évolution des taux d’intérêt. Un éventuel accident sur les marchés obligataires, bien que peu probable, pourrait avoir des répercussions globales.

Un article du dossier spécial “Placements : nos 40 conseils pour 2025”, publié dans L’Express du 20 février.




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