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En Serbie, une manifestation historique : pourquoi la colère gronde dans le pays


Un tournant en Serbie ? Vagues après vagues, des manifestants déferlent sur Belgrade, ce samedi 15 mars, pour un rassemblement massif après des mois de contestation des étudiants serbes contre la corruption. Drapeaux en main, sifflets à la bouche, et pin’s avec une main ensanglantée – le symbole du mouvement qui a adopté comme mot d’ordre “la corruption tue”- sur la veste, des dizaines de milliers de personnes se sont retrouvés dans le centre de la capitale. “Pumpaj ! Pumpaj !” (Pompe ! Pompe !) chantent les manifestants pour montrer que leur énergie ne faiblira pas.

Des groupes de motards, de vétérans et le service d’ordre des étudiants, qui assure depuis le début la sécurité du mouvement, étaient disposés dès la mi-journée dans le centre-ville pour éviter les débordements, bloquant notamment l’accès au parlement et à la présidence, devant laquelle se trouvent les soutiens du gouvernement. Des dizaines de fermiers au volant de leurs tracteurs sont également arrivés en soutien aux étudiants.

D’autres tracteurs, amenés par des partisans du gouvernement, ont quant à eux été installés près de la présidence vendredi matin. Face à un rassemblement qui pourrait être le plus important des dernières décennies, le pouvoir a également rassemblé ses soutiens, parmi lesquels d’anciens paramilitaires ultranationalistes. Des membres des Bérets rouges, une unité des opérations spéciales de la Sécurité d’État du temps de Slobodan Milosevic dans les années 1990, ont ainsi été aperçus entre les tentes dressées devant le siège présidentiel.

Les vitres des bâtiments officiels sont protégées depuis ce samedi matin, et des policiers anti-émeutes sont stationnés devant le parlement, la présidence, et la mairie. Dès vendredi soir, des dizaines de milliers de personnes – 31 000 selon le ministère de l’Intérieur – ont accueilli dans une ambiance festive les manifestants venus à pied, à vélo ou en tracteur de tout le pays.

Dans un communiqué diffusé sur les réseaux sociaux, les étudiants ont appelé à manifester “dans le calme et de façon responsable”. “L’objectif de ce mouvement n’est pas l’intrusion dans des institutions, ni d’attaquer ceux qui ne pensent pas comme nous […]. Ce mouvement ne doit pas être utilisé à mauvais escient”, ont-ils écrit. Le rassemblement devait commencer à 16 heures devant le parlement, et se disperser dans la soirée.

Des accusations de coup d’Etat du gouvernement serbe

Les manifestations s’enchaînent en Serbie depuis l’accident de la gare de Novi Sad, le 1er novembre dernier, qui a fait 15 morts, lorsque s’est écroulé l’auvent en béton du bâtiment tout juste rénové. La colère a depuis explosé, les manifestants voyant dans cet accident la preuve d’une corruption qui, selon eux, entache les institutions et les travaux publics. De semaine en semaine, le mouvement est devenu l’un des plus importants de l’histoire récente du pays, avec des manifestations quotidiennes.

Mais les rassemblements se sont tendus depuis que le gouvernement a accusé les protestataires d’être payés par des agences étrangères, de préparer des actions violentes, voire une révolution, notamment lors de la mobilisation de ce samedi dans la capitale. La situation a fait réagir l’ONU, qui a appelé les autorités serbes à ne pas “interférer indûment” dans la manifestation et à “respecter l’exercice complet des droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression”.

“Nous sommes un pays extrêmement démocratique”, a répondu dans la soirée de vendredi, lors d’une allocution, le président serbe Aleksandar Vucic, affirmant : “Nous ferons tout ce que nous pouvons pour sécuriser le rassemblement”. Et d’ajouter aussitôt : “Pour être clair, je suis le président de ce pays, et je ne laisserai pas la rue dicter les règles.”

“Le régime essaie de faire monter les tensions”

“On voit déjà depuis quelques jours que le régime essaie de faire monter les tensions”, analyse auprès de l’AFP Srdjan Cvijic, du Belgrade Centre for Security Policy. “Ce que tout le monde se demande, c’est si le gouvernement va essayer de créer des situations de violence pour ensuite avoir une excuse pour décréter l’état d’urgence. Jusqu’à présent, on a vu un mouvement qui n’est pas du tout violent […]. Je pense que les manifestants garderont leur calme.”

“Je crois que le 15 mars démontrera l’insatisfaction profonde des étudiants et des citoyens”, avance également auprès de l’AFP Maja Kovacevic, présidente de la faculté de sciences politiques de Belgrade. “À cet égard, je pense que ce sera une date importante, mais je ne crois pas qu’on doive suggérer que ce sera une sorte de tournant dans le mouvement, ou qu’il y aura un scénario de type’6 octobre’par la suite”, poursuit la professeure, dans une allusion au 6 octobre 2000, lendemain d’une manifestation qui précipita la chute de l’ex-président Slobodan Milosevic. A l’époque, “la situation sociale, économique et internationale était très différente”, abonde Srdjan Cvijic, “mais on peut imaginer une situation où cela marquerait le début de la fin” pour le pouvoir actuel.





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