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Grippe aviaire : l’idée inquiétante de Robert Kennedy Jr. contre l’épidémie


C’est un problème de santé publique qui ne fait que se renforcer. L’épidémie de grippe aviaire continue sa propagation à travers le monde, avec toutes les conséquences qu’on lui connaît sur l’agriculture. “Le monde fait face à une panzootie (l’équivalent d’une pandémie pour les animaux) inédite d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) […] et cela nécessite une réponse mondiale coordonnée”, a ainsi mis en garde ce lundi 17 mars Godfrey Magwenzi, directeur général adjoint de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

Et parmi tous les pays concernés, les Etats-Unis subissent une résurgence particulièrement importante parmi leurs élevages de volailles mais aussi de bovins. Depuis janvier 2022, plus de 1 600 foyers d’infection ont été signalés sur tout le territoire américain, avec plus de 166 millions d’oiseaux qui ont déjà dû être abattus depuis le début de l’épidémie. Et ce lundi, ce sont des cas de grippe H7N9 qui ont été détectés dans l’Etat du Mississippi pour la première fois depuis 2017. Or cette souche est bien plus inquiétante que la plus traditionnelle H5N1, car transmissible à l’homme.

Cette propagation accélérée cause donc de nombreuses inquiétudes chez les éleveurs aux Etats-Unis. Et pour remédier à ce fléau, le ministre de la Santé de Donald Trump, Robert Kennedy Jr., a fait une proposition pour le moins déconcertante : laisser le virus circuler afin de détecter si des espèces pouvaient développer une forme de résistance à l’épidémie. Ainsi, au lieu d’abattre les oiseaux lorsque l’infection est découverte, les éleveurs “devraient envisager la possibilité de laisser l’infection se propager afin que nous puissions identifier les oiseaux et préserver ceux qui sont immunisés contre elle”, a-t-il déclaré sur le plateau de Fox News.

Si Robert Kennedy Jr. ne dispose d’aucune juridiction sur les sujets agricoles dans son portefeuille ministériel, son homologue à ce poste au gouvernement américain, Brooke Rollins, s’est cependant également déclarée favorable à cette proposition. “Certains éleveurs sont prêts à tenter l’expérience dans le cadre d’un projet pilote, alors que nous établissons un périmètre de sécurité autour d’eux, afin de voir s’il est possible de progresser en matière d’immunité”, a-t-elle assuré auprès de Fox News le mois dernier.

Une catastrophe sanitaire

Or, cette solution est jugée catastrophique par de nombreux experts à de multiples égards. Et à commencer par le plan sanitaire. Ainsi, chaque nouvelle infection présente le risque de voir le virus muter en une forme davantage virulente, ou bien transmissible vers de nouvelles espèces, dont l’homme. En d’autres termes, si le virus H5N1 pouvait se propager dans un groupe de cinq millions d’oiseaux, “il y aurait littéralement cinq millions de chances pour que le virus se réplique ou mute” a déclaré auprès du New York Times Gail Hansen, ancienne vétérinaire d’Etat au Kansas, affirmant qu’il s’agissait d’une “voie vers un désastre”.

Cette idée pourrait également entraîner un véritable carnage au sein des exploitations agricoles. Aujourd’hui, les éleveurs de volailles appellent les autorités dès qu’ils constatent des signes de maladie ou de décès. Si les tests se révèlent positifs pour la grippe aviaire, ils sont remboursés pour tuer le reste du groupe avant que le virus ne se diffuse davantage. Or, si les éleveurs faisaient le choix de laisser le virus se propager dans leurs exploitations, “ces infections provoqueraient des décès très douloureux chez près de 100 % des poulets et des dindes”, a affirmé auprès du New York Times le docteur David Swayne, vétérinaire spécialiste des volailles ayant travaillé au département de l’Agriculture des Etats-Unis pendant près de 30 ans. En effet, ces espèces souvent élevées dans des espaces exigus et peu aérés disposent d’un système immunitaire très faible, leur laissant très peu de chances de survie face à la grippe aviaire. Le résultat serait ainsi “inhumain, entraînant une crise inacceptable du bien-être animal”, a dénoncé le médecin.

Sans oublier qu’au vu de la réalité actuelle des exploitations de volailles aux Etats-Unis, mais aussi partout ailleurs dans le monde, il paraît difficilement envisageable de voir certaines bêtes développer une immunité. “La façon dont nous élevons la volaille aujourd’hui ne permet pas une grande variabilité génétique. Il s’agit en fait du même oiseau”, affirme ainsi auprès du quotidien américain la docteure Gail Hansen.

Des répercussions économiques

In fine, cette piste aurait également de graves répercussions économiques. Non seulement en raison de la perte de plusieurs milliers de volailles ou de bétail qui auraient éventuellement pu survivre si le virus n’avait pas été ignoré, mais également dans l’alourdissement des procédures que représenterait cette nouvelle méthode Kennedy Jr. Car au lieu de s’attaquer au plus vite au nettoyage de leur exploitation afin de repasser les tests sanitaires réglementaires après avoir éliminé toutes les espèces potentiellement contaminées, les éleveurs perdraient au contraire du temps pour au final un résultat très probablement similaire : la mort de toutes leurs bêtes. Soit autant de jours et de semaines durant lesquels ils ne pourraient pas vivre de leur métier. Cette stratégie “signifie une quarantaine plus longue, plus de temps d’arrêt, plus de pertes de revenus et plus de dépenses”, a pesté auprès du New York Times un scientifique du Département de l’Agriculture des Etats-Unis, sous couvert d’anonymat.

Sans oublier que laisser la grippe aviaire se propager sans contrôle pourrait entraîner des embargos commerciaux immédiats sur les volailles provenant des Etats-Unis de la part de pays qui refuseraient de prendre le risque de voir des espèces potentiellement contaminées entrer sur leur territoire, et provoquant donc de potentielles conséquences économiques.

Pour défendre sa proposition, le service de presse du ministre de la Santé américain a déclaré que les commentaires de Robert Kennedy Jr. visaient à protéger la population “de la version la plus dangereuse de la grippe aviaire actuelle, que l’on trouve chez les poulets”. Le ministère affirme également vouloir “limiter les activités d’abattage”, dont il affirme que cela n’est “pas la solution”, privilégiant la piste d’une plus “forte biosécurité” au sein des exploitations.. Mais cette solution vise surtout le moyen et long terme, et non pas à régler le problème actuel. Et dans ce sens, le départ des Etats-Unis de certains canaux de communications d’organisations internationales sur la grippe aviaire, ainsi que les coupes dans ses effectifs de chercheurs et de fonctionnaires dédiés – même si certains ont depuis été rappelés -, ne devrait pas aider à voir les Etats-Unis se replonger vers des solutions plus scientifiques.




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