Le conclave sur les retraites voulu par François Bayrou va-t-il aller au bout des concertations censées s’achever en mai ? Ces derniers jours, les discussions ont en tout cas été ébranlées par les départs de certains membres et les déclarations du Premier ministre, qui a enterré l’hypothèse d’un retour à 62 ans. Ce “conclave” sur les retraites censé confier aux partenaires sociaux l’amélioration de la réforme votée l’an passé se réunit à nouveau ce jeudi 20 mars, dans le flou. Récit.
L’annonce d’un conclave “sans tabou”
Tout a débuté mi-janvier par une concession de François Bayrou, alors Premier ministre depuis quelques semaines, au PS d’Olivier Faure pour éviter une motion de censure de son gouvernement. Dans sa déclaration de politique générale, le chef du gouvernement avait balisé le chemin : d’abord une “mission flash” de la Cour des comptes pour travailler sur “des chiffres indiscutables”, puis un trimestre de négociation “sans aucun totem (ni) tabou” même sur les 64 ans, sous réserve de ne pas “dégrader l’équilibre financier” du système de retraites.
Après un retard à l’allumage, des premières discussions informelles ont finalement débuté le 17 janvier dernier, après des signaux contradictoires envoyés par le Premier ministre lui-même. Après deux heures d’échanges à Matignon, la CGT constatait déjà “l’ampleur des désaccords”. Néanmoins, le Premier ministre avait prévenu que le dialogue officiel ne pourrait vraiment débuter dans le fond que lorsque le rapport de la Cour des comptes aurait apporté des précisions chiffrées.
FO claque la porte dès le premier jour
C’est ainsi que les “vraies” concertations ont débuté le 27 février dernier. Mais à peine plus de quinze minutes après leur début, le syndicat Force ouvrière (FO) a décidé de quitter la table des concertations, refusant de participer à une “mascarade”. “Pour nous c’est terminé. Nous ne participerons pas à cette mascarade où on veut nous faire dire qu’effectivement la seule solution, c’est d’allonger la durée de travail pour les salariés dans ce pays”, a lancé le négociateur de FO Michel Beaugas, en sortant des locaux des services du Premier ministre où se tenait ce rendez-vous.
Le représentant du syndicat s’est insurgé d’une lettre, envoyée deux jours plus tôt par Matignon pour fixer les objectifs à atteindre, tout en réclamant aux partenaires sociaux de rétablir l’équilibre financier du système de retraites à horizon 2030. “Ni le format, ni le périmètre, ni la méthode (de ces concertations) ne nous conviennent” et la lettre envoyée mercredi soir aux partenaires sociaux par le Premier ministre François Bayrou pour cadrer les débats “a fini par nous convaincre de ne pas venir”, a poursuivi le syndicaliste.
François Bayrou provoque l’indignation en excluant un retour à 62 ans
Le 16 mars dernier, moins d’un mois après le début des discussions entre partenaires sociaux sur les pistes à trouver pour amender la réforme des retraites, François Bayrou a fait part d’une volte-face très singulière. Le Premier ministre qui promettait quelques semaines plus tôt face aux députés un débat sans “tabou ni totem” a soudainement fermé la porte à un retour de l’âge de la retraite à 62 ans.
Interrogé sur France Inter et franceinfo sur la possibilité de ce retour à 62 ans, contre 64 ans dans la loi actuelle, le Premier ministre a répondu “non”. “La conférence sociale sait très bien […] quel est le rapport numérique […] Je ne crois pas que la question paramétrique […] c’est-à-dire la question de dire ‘voilà l’âge pour tout le monde’, je ne crois pas que ce soit la seule piste”, a-t-il ajouté. Une trahison pour la gauche, qui ne tarde pas à réagir. Jean-Luc Mélenchon, leader LFI, évoque ainsi “un foutage de gueule”, tandis que le socialiste Boris Vallaud met en garde contre “la brutalité de la trahison de la parole donnée… et écrite”.
L’organisation patronale U2P claque la porte
48 heures après la déclaration du Premier ministre, le conclave est allégé par un nouveau départ : celui de l’organisation patronale U2P, qui représente les entreprises de proximité. L’organisation a annoncé mardi 18 mars quitter les négociations, espérant ainsi “contribuer à une prise de conscience générale”.
“Est-il vraiment sérieux dans un contexte de déficits structurels et de projections alarmantes, de continuer à emprunter la voie d’un retour de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans ou d’une réduction de la durée d’activité requise pour accéder à la retraite ?”, s’interroge-t-elle dans un communiqué, prônant au contraire “des mesures drastiques pour rétablir l’équilibre de nos régimes sociaux”.
La CGT quitte les négociations à son tour
Mercredi 19 mars, après Force ouvrière et l’U2P, c’est au tour de la CGT de claquer la porte. Sophie Binet a annoncé le départ de son organisation des concertations face au refus répété de revenir aux 62 ans. “Le Premier ministre et le patronat ont malheureusement définitivement enterré ce conclave. Et c’est très grave parce que le Premier ministre s’était engagé à ce que ces discussions soient ‘sans totem, ni tabou'”, a justifié la patronne de la CGT, après le vote de ses instances.
Après avoir suscité beaucoup d’espoir auprès des syndicats, en leur donnant l’occasion, pour la première fois en plus de deux ans, de renégocier la décriée réforme des retraites qui a porté l’âge de départ de 62 à 64 ans en 2023, François Bayrou a donc finalement déçu, provoquant des départs en cascades. Le Premier ministre a “rompu le contrat”, “changé les règles du jeu” et “ne voit pas où est le problème”, dénonçait aussi mardi matin Marylise Léon, la numéro un de la CFDT, sur le plateau de BFMTV/RMC.
Le conclave en sursis, François Bayrou aussi ?
Ce jeudi 20 mars, seules trois organisations syndicales (CFDT, CFTC, CFE-CGC) et deux organisations patronales (Medef et CPME) se retrouveront ainsi à la table des discussions à partir de 14 heures pour parler d'”usure professionnelle et pénibilité”. Mais “avec les (derniers) rebondissements, j’ai bien peur qu’il y ait du changement”, a déclaré à l’AFP Pascale Coton, négociatrice pour la CFTC.
Pour autant, le ministre de l’Economie Eric Lombard s’est montré confiant sur l’issue des discussions. “Je suis convaincu que ça va aboutir”, a-t-il déclaré sur TF1, en envisageant même que “les organisations qui se sont éloignées pourront revenir à la table si cet accord leur convient”. Le ministre, qui dit espérer la poursuite des discussions entre les partenaires sociaux, a rappelé que le seul mandat du conclave est “de parvenir à l’équilibre (financier du système de retraites) en 2030” et que “sur les questions d’âge, leur liberté est totale”.
Il n’empêche, cette mise en sursis du conclave sur les retraites ravive l’opposition des socialistes sur lesquels François Bayrou compte pour durer à Matignon. Le Premier ministre “commet une erreur” s’il pense que les socialistes ne peuvent plus le censurer, mais ceux-ci attendront de voir l’issue du conclave, a prévenu mardi le premier secrétaire du PS Olivier Faure. “Nous avons sanctuarisé le budget, nous n’avons pas sanctuarisé la place de François Bayrou”, a-t-il dit.
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