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Face à la Russie, ce nouveau missile ukrainien qui pourrait rééquilibrer la donne


Une épaisse colonne de fumée surmonte un immense incendie. La raffinerie de pétrole de Touapsé, sur les côtes russes de la mer Noire, a été frappée le 14 mars dernier par un tir de missile ukrainien. Selon les autorités locales, trois jours ont été nécessaires aux pompiers pour venir à bout des flammes, qui ont ravagé une partie de ce site énergétique de la région de Krasnodar. Sur les réseaux sociaux, des images satellites de la zone montrent qu’une partie de la raffinerie a été carbonisée.

La frappe sur cette infrastructure pétrolière a été menée par Kiev grâce à une arme d’un nouveau genre, intégralement fabriquée au sein de ses frontières : le Long Neptune. Ce missile de croisière, évolution d’un précédent modèle moins puissant, a été développé ces dernières années pour pouvoir frapper plus fort la Russie sur ses terres. L’opération de Touapsé a d’ailleurs été saluée sur la messagerie cryptée Telegram par le président ukrainien, Volodymyr Zelensky : “Nous sommes heureux des résultats de Neptune.”

Les caractéristiques de ce nouvel engin permettent à l’Ukraine d’envisager des frappes plus lointaines qu’avec la plupart de leurs munitions. “[C’est] un nouveau missile ukrainien, très précis. Il a une portée de 1 000 kilomètres”, a précisé le chef d’Etat lors de sa communication. Le Long Neptune est la nouvelle version d’un missile déjà utilisé par l’Ukraine depuis le début de la guerre, le R-360 Neptune. Mis en service en 2021, avant l’invasion du pays, il permettait de viser des positions russes en mer, mais ne disposait que d’une portée de 300 kilomètres. Selon Kiev, deux missiles de ce modèle sont à l’origine de l’explosion du Moskva, cet imposant croiseur russe de plus de 13 000 tonnes coulé en avril 2022.

Jusqu’à 350 kilogrammes de charges explosives

Les forces militaires du pays s’étaient alors donné pour objectif d’améliorer la technologie afin de pouvoir y recourir plus souvent. Ses capacités de contrôle ont aussi été perfectionnées, notamment par l’ajout d’un système infrarouge. Et au-delà de la portée trois fois supérieure, sa force de frappe serait bien plus importante que celle de la plupart des armes ukrainiennes employées durant ce conflit. D’après une source du ministère ukrainien de la Défense, le Long Neptune pourrait transporter jusqu’à 350 kilogrammes de charges explosives. Les drones, qui permettent aussi à Kiev de toucher des cibles parfois situées à 1 000 kilomètres à l’intérieur du territoire russe, ne peuvent pas convoyer autant d’explosifs.

Volodymyr Zelensky a fixé un objectif de 100 000 munitions produites en Ukraine sur l’année 2025. Le pays pourrait-il désormais réussir à produire ces missiles Long Neptune en quantité ? “J’espère qu’avec la combinaison de nos capacités technologiques, manufacturières et financières, l’Ukraine et ses partenaires occidentaux pourront vraiment faire monter en puissance la production. Mais la question est davantage de savoir où ils pourront être produits, car l’entièreté du territoire ukrainien est attaquée”, souligne Mykola Sunhurovskyi, chercheur au centre de recherches ukrainien Razumkov, interrogé par le média allemand DW. Si Kiev décidait de produire en nombre ces engins, Moscou tenterait sans nul doute de cibler les usines où ils sont fabriqués.

Surtout, selon les experts, l’augmentation du nombre de missiles Long Neptune ne serait pas à même de combler un possible désengagement américain au niveau de l’aide militaire. “En considérant ce dont ont besoin les forces armées ukrainiennes en termes de missiles, cela ne suffira pas à remplacer les armes occidentales. Cela ne sera qu’un complément à celles-ci”, poursuit Mykola Sunhurovskyi, toujours interrogé par la radio allemande. La remise en cause de l’aide militaire fournie par les États-Unis, un temps suspendue par Donald Trump après son arrivée à la Maison-Blanche, pousse Kiev à prendre des mesures pour limiter les conséquences d’un possible retrait.

Pas une alternative à l’aide occidentale

Lorsqu’il était au pouvoir, Joe Biden avait déjà rechigné à autoriser l’utilisation de missiles de longue croisière ATACMS (Army Tactical Missile Systems) pour frapper la Russie. Mi-novembre dernier, une fois Donald Trump élu, l’ex-président démocrate avait finalement donné son feu vert. Début janvier, Moscou avait ainsi indiqué avoir intercepté plusieurs projectiles de ce type. Mais depuis l’arrivée du républicain dans le bureau Ovale, rien n’indique que de nouveaux ATACMS ont été livrés à l’Ukraine. Ni combien sont encore en stock dans les dépôts du pays.

Conséquence : au-delà de ces produits américains, seuls les missiles britanniques Storm Shadow étaient jusque-là disponibles dans l’arsenal ukrainien pour viser des cibles lointaines en Russie. La production de nouveaux Long Neptune semble donc déterminante pour Kiev, au moment même où la perspective de pourparlers de paix est poussée par l’administration américaine. Cette semaine, Donald Trump a notamment appelé le président russe Vladimir Poutine, puis le président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour déterminer les conditions d’une potentielle trêve entre les deux belligérants. Le camp ukrainien a ainsi validé la proposition d’un cessez-le-feu de 30 jours proposé par Washington.

En cas d’échec de ces potentiels pourparlers, l’utilisation de ces nouveaux engins, bien que marquant une étape importante dans le conflit ukrainien, devra être accompagnée de la poursuite du soutien occidental. “Ces missiles de croisière seuls ne peuvent pas changer le cours de la guerre même s’ils sont utilisés bien plus souvent qu’aujourd’hui. Nous avons l’expérience de la Russie, qui nous a lancés bien plus de missiles différents, et pourtant nous sommes toujours là”, analyse auprès de Politico Mykola Bielieskov, analyste à l’Institut royal d’études stratégiques de Londres. Le développement de ce missile inédit démontre en tout cas la volonté de Kiev de continuer à produire des armes pour se défendre. Bien loin de l’exigence de Vladimir Poutine de la fin du “réarmement” de l’Ukraine, posée comme une des conditions à une éventuelle trêve.




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