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Nucléaire : “L’affaire Dominique Voynet est le symptôme d’un mal plus profond”


Tempête dans un verre d’eau ou signal d’alarme ? La nomination de Dominique Voynet au Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), organisme chargé de produire des rapports d’informations sur la filière nucléaire, divise. Dans une lettre adressée à la présidente de l’Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, Raphaël Schellenberger et Antoine Armand, respectivement président et rapporteur de la Commission d’enquête parlementaire sur la perte d’indépendance énergétique de la France, dénoncent une décision incompréhensible et préoccupante, rappelant l’opposition farouche au nucléaire de l’ancienne ministre de l’Environnement. Une réaction disproportionnée, rétorquent certains membres de l’HCTISN qui insistent sur le fait que Dominique Voynet fera peu de dégâts au sein d’une structure plurielle, comprenant aussi bien des membres de la filière nucléaire que des associations hostiles à l’atome, et qui n’a aucun pouvoir décisionnel.

Pour Fabien Bouglé, auteur de Guerre de l’énergie (éditions du Rocher), la réaction épidermique provoquée par cette affaire reflète surtout un ras-le-bol et l’amorce d’un vrai changement : la politique énergétique française, marquée par de nombreux “stop and go” et des choix idéologiques malheureux, ne peut plus continuer comme avant.

L’Express : Comment expliquez-vous les remous créés par la nomination de Dominique Voynet ? L’HCTISN n’est pas une institution habituée à faire des vagues…

Fabien Bouglé : C’est vrai. On peut penser que Madame Voynet n’aura pas beaucoup d’influence sur le contenu des travaux de cet énième comité Théodule. Mais elle n’est qu’un symbole, la pointe émergée de l’iceberg sur la question de la présence de personnalités antinucléaires dans tous les rouages de nos institutions. Voilà le souci. Des opposants à l’atome, nous en trouvons à la Cour des comptes, à l’Ademe, au ministère de l’Ecologie et même à la DGEC (Direction Général de l’énergie et du climat). Cette présence crée une sorte de blocage psychologique sur la question du nucléaire en France.

Regardez le dernier rapport de la Cour des comptes, qui dit que nous sommes loin d’être prêts pour la relance. C’est un coup de couteau dans le dos de la filière nucléaire française. Autre exemple, sur la prochaine Programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fait la part belle aux énergies renouvelables, le gouvernement veut désormais passer par décret et éviter ainsi un débat parlementaire.

En fait, il n’y a pas aujourd’hui de volonté politique pour véritablement mettre le paquet sur la relance du nucléaire. Lorsqu’il a fallu reconstruire la cathédrale Notre-Dame, cette volonté politique s’est manifestée et l’édifice a été restauré rapidement. Sur le nucléaire, on nous dit que le blocage vient du coût important de l’investissement. Sauf qu’il s’agit avant tout d’une décision politique. Il a fallu attendre le dernier Conseil de politique nucléaire – trois ans après le discours de Belfort ! – pour avoir les contours du financement des futurs EPR. Dans le contexte actuel, cette polémique autour de Dominique Voynet peut ouvrir un débat national sur notre politique énergétique et les rouages institutionnels qui la bloquent. Plusieurs sénateurs, ainsi que des anciens de la filière énergétique, poussent en ce sens aujourd’hui.

Il y a deux ans, la publication du rapport consécutif à la Commission parlementaire sur l’indépendance énergétique de la France montrait les nombreuses failles de notre politique. Notre pays a-t-il fait des progrès depuis ?

Ce rapport avait accompli un très bon travail de mise en lumière des enjeux. En pointant notamment le sabotage de notre système énergétique par certaines personnes. Les représentants de la filière nucléaire ont pu s’exprimer. Parfois durement. A l’image de l’ancien patron d’EDF, Henri Proglio, qui estime que les Allemands ont poussé pour détruire le géant français de l’énergie, et qu’ils ont réussi. Mais Antoine Armand et Raphaël Schellenberger n’ont pas voulu creuser cette question des ingérences étrangères, pour éviter, selon eux, une polémique stérile. Or, nous payons toujours cette absence de lucidité face aux manœuvres d’autres pays, qu’elles visent à nous déstabiliser ou à préempter des marchés.

La France ne pourra pas faire l’économie d’une grande enquête sur les ingérences dans le domaine énergétique français. On voit bien, par exemple, l’offensive menée en Europe depuis quelques années par les acteurs de la filière nucléaire américaine. En 2023, l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry s’est rendu en Roumanie pour lancer le projet Phoenix, qui vise le remplacement des centrales à charbon des pays de l’Est par des réacteurs de technologie américaine. Pourquoi ce plan ? Les Américains pensent à juste titre que la domination technologique dans le nucléaire permet d’assurer une vassalisation énergétique pendant des dizaines d’années. Dans la même veine, Westinghouse et l’Ukraine ont signé un contrat pour la construction et le développement de neuf centrales nucléaires.

C’est la raison qui pousse Donald Trump à mettre la main sur la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijia ?

Les enjeux sont considérables ! Le contrôle des installations énergétiques de l’Ukraine permet un contrôle politique du pays. Surtout, Washington ne veut surtout pas laisser Vladimir Poutine être le maître du jeu en Europe. Je ne pense pas que ce dernier lâchera Zaporijia. Si la région du Donbass est annexée, le président russe aura besoin de ressources électriques pour l’approvisionner. Mais d’autres transactions se dessinent. Via un éventuel contrôle de Nord Stream 2, l’Amérique veut devenir le bureau de distribution du gaz russe en Europe. Une sorte de courtier qui prend sa dîme à chaque transaction. N’oublions pas non plus que 75 % des installations énergétiques ukrainiennes ont été détruites par la guerre. Il y a donc un marché énorme à prendre.




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