Longtemps, la Chine a été perçue comme le Far West de la propriété intellectuelle et sa réputation associée au non-respect des brevets. Il est vrai qu’elle n’avait pas de loi en la matière jusqu’en 1984, privilégiant alors l’imitation des technologies étrangères à leur protection. Cette image est aujourd’hui obsolète. Depuis quelques années, Pékin a profondément réformé son cadre juridique et stratégique en matière de brevets et de marques.
L’année 2024 a marqué un tournant. Avec plus de 46 % des dépôts de brevets, le pays s’est hissé à la première place mondiale. Cette évolution repose sur des mesures concrètes. La Chine a modernisé ses lois pour les aligner sur les normes internationales dès son entrée dans l’Organisation mondiale du commerce en 2001. Elle a créé ses premiers tribunaux spécialisés en propriété intellectuelle en 2014. Ils forment désormais un réseau de 21 instances dédiées aux litiges et reposent sur un outil informatique moderne qui lie les dépôts et les contestations judiciaires.
La nouvelle loi sur les brevets, entrée en vigueur en 2021, a introduit des mesures en faveur de l’innovation, par exemple une extension jusqu’à cinq ans de la durée des brevets sur les médicaments – un concept inspiré du Hatch-Waxman Act américain. En outre, le principe de bonne foi a été inscrit dans le droit chinois de la propriété intellectuelle en 2024, afin de bloquer les dépôts frauduleux ou abusifs de brevets et de marques.
Des tribunaux chinois plus actifs
Désormais, les tribunaux du pays appliquent la loi de façon plus impartiale et les plaignants étrangers obtiennent gain de cause aussi souvent que les entreprises chinoises dans les contentieux. D’ailleurs, seules 26 % des entreprises membres de la Chambre de commerce américaine en Chine estiment que l’application des droits de propriété intellectuelle constitue un frein à leurs investissements, contre 55 % en 2006. L’ouvrage Silicon Triangle : The United States, Taiwan, China, and Global Semiconductor Security (Hoover Institution Press, 2023) rapporte que des entreprises américaines, quand elles ont le choix de la juridiction, préfèrent désormais intenter leurs procès en Chine plutôt qu’aux Etats-Unis car elles obtiennent plus aisément des mesures conservatoires – qui empêchent la vente du produit litigieux.
En avril 2024, l’Administration nationale de la propriété intellectuelle de Chine a rejoint l’initiative “Patent Prosecution Highway”. Celle-ci favorise la coopération des cinq principaux offices de propriété intellectuelle du monde, qui sont situés en Chine, aux Etats-Unis, en Europe, au Japon et en République de Corée.
Ce virage contraste avec l’affaiblissement progressif du système américain. Aux Etats-Unis, des décisions judiciaires comme eBay vs. MercExchange en 2006 ont fortement réduit la portée dissuasive des brevets, en supprimant la prise automatique de mesures conservatoires contre les contrefacteurs. L’America Invents Act de 2011 a créé le Patent Trial and Appeal Board (PTAB), une très controversée commission de recours en matière de brevets, qui a invalidé plus de 80 % des dossiers examinés.
Un cadre américain trop assoupli
Entre 2010 et 2014, une série d’arrêts de la Cour suprême, dont les décisions dites Alice and Mayo, a drastiquement réduit le champ des inventions brevetables. En est désormais exclu tout ce qui est considéré comme une loi de la nature ou une idée abstraite. Des secteurs entiers – logiciels, diagnostics médicaux, méthodes commerciales… – sont devenus plus difficiles à protéger. Des centaines de brevets déjà délivrés ont même été annulés rétroactivement sur cette base.
Certains voient dans cet assouplissement l’action des géants de la technologie grand public, comme les fabricants de voitures ou de téléphones portables, où un seul produit est souvent associé à des milliers de brevets qui sont autant de risques de poursuites agitées par des chasseurs de brevets cherchant des compensations indues. Les entreprises technologiques promeuvent un système qui ne reconnaît que les brevets de haute qualité. L’an dernier, une étude du groupe de réflexion bipartisan Sunwater Institute a pourtant montré qu’aux Etats-Unis, l’attribution indue de brevets (7 %) est inférieure de moitié au rejet de demandes parfaitement valables (18 %). Cette préférence pour l’élitisme prive donc le pays d’un surcroît d’innovation.
Robin Rivaton est directeur général de Stonal et membre du conseil scientifique de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol)
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