“Jean-Luc Mélenchon s’isole un peu plus du reste de la gauche. Lundi 31 mars, le tribunal de Paris a condamné la candidate Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité de 5 ans avec exécution provisoire. Quand Fabien Roussel (PCF), à l’instar de Boris Vallaud (PS), appelle à “respecter la justice” et que Marine Tondelier (EELV) fustige un “parti [qui] souhaite une justice sévère, mais seulement pour les autres”, la parole insoumise détonne.
Après tout, et c’est bien son droit, LFI s’oppose “par principe que le recours soit impossible pour un justiciable quel qu’il soit”. Le mouvement reconnaît certes des “faits déclarés avérés particulièrement graves”, mais était-ce nécessaire de préciser ne jamais avoir “eu comme moyen d’action d’utiliser un tribunal pour se débarrasser du Rassemblement national” ? À bâbord, les voix s’élèvent. “C’est une façon d’embarquer les citoyens de bonne foi contre les juges qui protègent la démocratie”, souffle l’ancienne députée insoumise Raquel Garrido, qui fustige des propos reprenant “le narratif de la droite affairiste”. Jean-Luc Mélenchon, partisan d’une VIe République, n’en a cure : “La décision de révoquer un élu devrait revenir au peuple.”
Jean-Luc Mélenchon a toujours eu une vision maximaliste de la justice des élus, c’est sa constance. Depuis 2017 et la rédaction de son programme, “L’Avenir en commun”, le leader insoumis plaide pour “rendre inéligible à vie toute personne condamnée pour corruption”. Une fois n’est pas coutume, son meilleur ennemi, François Hollande, s’était lui-même prononcé en faveur de cette mesure – après les aveux de Jérôme Cahuzac en 2013 – la pensant acceptable tant l’affaire était “infamante” pour la classe politique. L’ancien président de la République avait fini par reculer, constatant que la proposition n’était pas conforme à la Constitution.
“Il se méfie de l’irruption de la justice dans la politique”
Seulement, en la matière, la doctrine de Jean-Luc Mélenchon est parfois confuse. La mesure revêt un caractère automatique, analysent certains experts. C’est pourtant ce principe qu’il réprouve, en novembre 2024, lors des réquisitions du procureur contre Marine Le Pen, saluant une éventuelle inéligibilité décrétée “à l’appréciation du juge”. Pour le reste, le président de l’Institut La Boétie s’inquiète, et plaide pour que cette même peine ne soit pas “appliquée avant expiration de tous les recours prévus par la loi”. Déjà à peu près seul, à gauche. Après tout, il était à Bruxelles lorsque les parlementaires de gauche adoptaient la fameuse loi Sapin II. À bâbord, on le trouve un peu trop clément avec la très probable ancienne candidate d’extrême droite. Adversité politique, complicité juridique ? Le présidentiable insoumis avait certes fait de Marine Le Pen sa meilleure adversaire, rêvant de l’affronter dans le cadre d’un second tour.
Mais l’Insoumis se méfie avant tout des juges. Il a parfois fait preuve de bienveillance à leur égard : “Quand on n’est pas content de la justice, faut changer les lois, pas mettre en cause les juges. On peut changer la loi et les juges appliquent la loi au nom du peuple français”, disait-il au sujet de l’affaire Fillon. Pour le reste, “Jean-Luc se méfie structurellement de l’irruption de la justice dans la politique, qu’elle soit téléguidée ou non, analyse l’un de ses anciens conseillers. Pour lui, la justice n’a pas à trancher des choses à la place du peuple souverain.”
Jean-Luc Mélenchon craint-il, à l’avenir, de subir pareil destin que Marine Le Pen ? Un document de l’Office européen de lutte antifraude (Olaf), datant de 2021 et révélé la semaine dernière par Libération, fait état de “manquements” et d'”irrégularités” au sujet de l’activité de deux assistants parlementaires du patriarche insoumis, député européen entre 2013 et 2017. Un préjudice que l’organe communautaire a évalué à un peu plus de 500 000 euros, inférieur à l’estimation du Parlement européen concernant le FN, mais supérieure à celle liée au MoDem. Jean-Luc Mélenchon reste innocent, personne n’ayant pour l’heure été mis en cause, puisque le dossier demeure entre les mains du juge d’instruction.
“#StopLawfare” – #JeSoutiensMarine : l’étrange résonance
“La République, c’est moi !” L’année 2018 parachève sa défiance à l’égard des magistrats. Parallèlement à l’affaire des assistants parlementaires, certains cadres insoumis sont visés par une enquête préliminaire concernant les frais de campagne de 2017. En septembre 2024, Sophia Chikirou, députée LFI de Paris et patronne de la communication du mouvement, est mise en examen, soupçonnée d’avoir surfacturé au candidat certaines prestations avec sa société Mediascop. L’Insoumission, le média de La France insoumise, attaquera dans ses colonnes Dominique Blanc, “le juge issu du PS qui attaque les Insoumis”, à l’origine des perquisitions au siège mélenchoniste, un “ancien collaborateur nommé par piston PS”.
Durant plusieurs années, LFI se lance dans une campagne fustigeant la tactique du “lawfare”, concept qui a vu le jour en Amérique Latine, dénonçant l’utilisation du système judiciaire pour combattre un ennemi politique. En 2019, le patriarche publie des tribunes dans les colonnes du JDD, aux côtés de Lula, de Pablo Iglesias et de 200 autres personnalités, appelant à “la fin des procès politiques”, où le cas de Jean-Luc Mélenchon est comparé à celui d’opposants russes ou philippins. Entre-temps, Jean-Luc Mélenchon publie un livre, Et ainsi de suite, un procès politique en France (Plon, 2019), y déclarant que “la politisation de la justice décidée par Macron”. #StopLawfare : à l’époque, le mot-dièse pullule sur les réseaux insoumis ; il résonne étrangement avec l’actuel mot d’ordre frontiste, #JeSoutiensMarine.
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